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vendredi 27 juillet 2012

Le chien, adjuvant social

Photo J. Piroué
Depuis que mon ami a adopté un chienne à la SGPA, j’apprends plein de choses concernant les canidés, leur éducation, leur langage corporel, le parcours du combattant pour obtenir la médaille, j’ai même acquis le réflexe du sac-à-crotte dans toutes les poches (qui dépanne bien souvent, un peu comme les sachets dits hygiéniques, pour y mettre des trucs et des machins). J’ai aussi découvert ce que cela signifie d’être l’objet d’un amour aussi irrationnel qu’immodéré, d’être le centre de l’univers, le soleil, la lune et tout l’univers pour un petit être poilu qui parvient à s’extasier devant un lancer de bâton, un crouton de pain sec trouvé parterre ou un écureuil qui disparaît le long d’un tronc. 
Au fil de mes promenades canines, je fais toujours des rencontres. Je parle à des gens à qui je n’aurais jamais adressé la parole si je n’avais pas été accompagnée de ma petite copine à quatre pattes. Je retrouve souvent la même clique hétéroclite au Bois de la Bâtie, un grand parc qui a été légué à la ville de Genève à la condition expresse que les chiens puissent y batifoler en liberté. Un groupe de dames retraitées, des jeunes, des vieux, des gens bizarres ou pas, tous accompagnés de leur toutou d’amour. Nous observons attendris les jeux et les courses entre nos petits protégés et, l’air de rien, la conversation s’engage entre nous. Des bavardages inoffensifs, de type Café du Commerce, mais nous nous connaissons désormais et nous savons que nous retrouvons le petit groupe des habitués vers 16h30, tous les jours au même endroit. Sur le chemin du retour, j’ai croisé plusieurs fois un monsieur espagnol, de Galice, qui a des chiens de chasse au pays qui sont imbattables pour traquer le sanglier. Il m’a aussi raconté qu’il savait très bien imiter Luis Mariano, même qu’il s’est mis à chanter pour moi. Un autre, qui avait un chien d’eau, race que je ne connaissais pas encore, m’a raconté qu’il partait souvent au Sénégal parce qu’il travaille dans la pêche. Ça ne serait jamais arrivé si j’étais passée seule devant eux.

Au restaurant, la chienne provoque très souvent des contacts avec les tables voisines et c’est rarement pour cause de plaintes ou de craintes. Récemment en voyage, un couple de retraités à la table d’à-côté, au petit-déjeuner, nous a raconté qu’ils ont un berger allemand, mais qu’ils ne l’ont pas emmené avec eux. Nous nous trouvions à Descartes (Indre et Loire) et ils avaient fait le voyage de Nantes, car leurs enfants leur avaient offert des billets pour le spectacle des Bodins, qui raconte la vie d’autrefois à la ferme. C’était la première fois qu’ils partaient en vacances!! De Nantes à Descartes!! Ils nous ont aussi raconté qu’ils avaient eu un accident de voiture et qu’ils y ont perdu leur 4x4 qui n’avait que 34.000km!! Et patati et patata. Rien de tout cela ne serait arrivé si nous n’avions pas eu la chienne à nos pieds sous la table. Dans la même localité, une dame âgée, admirant ma choupette, se met à me raconter qu’elle avait aussi eu un chien autrefois, qu’il avait eu une néphrite, qu’il avait fallu l’opérer, mais que la pauvre bête n’avait pas supporté et qu’il avait fallu la piquer. «C’est un chagrin....! Mais un chagrin....!!!! Je n’en veux plus! C’est trop dur! Et mon mari qui est mort d’un cancer! Non, je ne veux plus d’animal, c’est trop de chagrin!» J’avais l’impression que la perte de son chien avait été un coup plus dur que le décès de son mari. Ou encore cette dame russe qui me sourit d'un air complice et attendri:
- Ya poutine!
- Vous?! Poutine?!
- Da! Ya poutine! me dit-elle en se penchant légèrement sur le côté, la main à l'horizontale à environ 70cm du sol.
- Oh! You also have a dog!
Je vais lui présenter l'objet de son admiration et elle sussurre:
- Bellissima!
Nous échangeons encore quelques borborygmes multilingues, après quoi elle me dit Au revoir! et je lui réponds Dasvidania! Je ne sais pas encore si chien se dit poutine en russe ou si elle a appelé son chien comme ça.


Par ailleurs, on entame quasi-systématiquement des conversations de nature sexuelle avec de parfaits inconnus: «C’est un mâle? Non, c’est une femelle. Alors ça va. Le mien, j’ai dû le faire castrer, depuis, il a pris du poids. Elle a ses chaleurs, elle est portante. Ah, la nôtre, elle est stérilisée, alors il n’y a aucun problème». Les chiens font connaissance en se reniflant le derrière, le devant, les côtés, les mâles font parfois mine de vouloir grimper et c’est reparti pour les considérations génitales. 

Les enfants sont toujours fascinés par les animaux. En général, ils regardent de loin, ils ont envie, mais n’osent pas. Les parents leur apprennent qu’il faut demander la permission, puis ils s’approchent très prudemment et touchent le dos de la bête du bout des doigts, n’en revenant pas de leur audace. En France, les chiens sont rigoureusement enfermés derrière des barrières ou tenus en laisse très serré. Lorsque nous croisons d’autres maîtres, ils tirent violemment sur le cou de leur animal pour éviter tout contact avec un congénère, ce qui ne cesse de nous surprendre. Ce n’est alors pas étonnant si les chiens sont méchants, aboient et mordent, nous en ferions autant si on nous refusait tout contact avec autrui.

Photo J. Piroué
Notre chienne est très sociable et très curieuse. Elle se précipite dès qu’elle voit un chat mais, une fois qu’elle est nez à nez avec une de ces drôles de bêtes qui fait le dos rond et la fusille du regard avec mépris, elle ne sait plus que faire et s’en va, toute penaude. Elle aimerait beaucoup courir après les écureuils aussi, mais c’est bien plus difficile. Au zoo de Beauval, elle a été absolument fascinée par les manchots et les ouistitis, elle aurait adoré pouvoir jouer avec eux. En revanche, elle était terrorisée par les gros tigres endormis, qui ressemblaient pourtant à de gros troncs. Elle n’en n’avait jamais vu et ne pouvait pas savoir ce que c’était, mais quelque chose comme une odeur de fauve devait se dégager de ces grosses bêtes, quelque chose qui annonçait un danger terrible.
Vivre et a fortiori voyager avec un chien est certes une contrainte, mais cela permet aussi de voir les choses sous un angle nouveau. Moi qui ai souvent voyagé seule, je constate que je suis perçue de façon très différente par les gens que je croise. Une femme seule est toujours considérée comme quelque chose d’un peu anormal - dans la salle à manger d’un hôtel, un enfant qui n’arrêtait pas de me dévisager a fini par demander à ses parents pourquoi la dame elle était toute seule - voire d’un peu menaçant - les épouses surveillent leur mari d’un oeil vigilant, on ne sait jamais. Accompagnée d’un chien, je redeviens quelque chose de normal, je corresponds à un moule connu et ça redevient plus rassurant pour tout le monde. Quand je serai vieille et moche, je pourrai sans doute circuler dans le monde sans faire peur aux gens. Sacrée consolation....

mercredi 4 juillet 2012

Une nuit blanche chez arte



La télévision finlandaise a eu cette idée folle de faire une émission qui durerait toute la nuit de la Saint-Jean, Juhannus, apogée de l’année dans les pays nordiques puisque c’est le solstice d’été, le jour le plus long, voire le jour sans nuit en Laponie. Le fil conducteur était un train allant de Helsinki à Rovaniemi et c’était aussi l’occasion de fêter les 150 ans des chemins de fer finlandais. Les Norvégiens ont déjà fait quelque chose de similaire, non seulement un voyage en train à travers le pays, un programme de 13 heures, mais aussi la croisière du sud au nord en passant par tous les fjords, une émission sur trois jours, en direct! Il ne s’y passait pas grand chose, paraît-il, mais les paysages grandioses se suffisaient à eux-même.
Juhannusjuna, le train de la Saint-Jean, a été diffusé par arte, avec interprétation simultanée en français et en allemand, avec le titre Sous le soleil de minuit1). Nous étions douze interprètes au total, trois voix masculines et trois voix féminines, vers chacune des deux langues. Le travail était tout différent, non seulement parce qu’il impliquait d’y passer toute la nuit, mais aussi parce qu’on travaillait par personnage et non pas par langue (il n’y en n’avait qu’une, le finnois) ni par demi-heure, mais par intervention. Nous avions un planning de l’émission, qui nous permettait de savoir quand il y aurait des dialogues en live, c’est-à-dire quand on allait devoir travailler. Le tout était entrecoupé de documentaires, de morceaux de musique ou de paysages filmés d’un hélicoptère. C’était une nuit de vigilance extrême, avec des moments très brefs mais très intenses où il fallait saisir très vite ce qui se disait, parfois dans la confusion, les personnages parlant tous en même temps, puis parvenir à transposer dans le même ton, un peu léger et parfois un peu argotique. Il fallait s’efforcer de terminer en même temps que l’orateur. Nous ne pouvions pas être sur pilote automatique, car personne n’allait parler de plan d’austérité ou du traité de Prüm.


L’émission s’adressait bien sûr au public finlandais, mais devait aussi servir de promotion touristique, puisqu’elle était aussi diffusée à l’étranger. Je ne suis toutefois pas certaine que ce deuxième objectif ait été atteint. Le voyage commençait à Helsinki, mais arte n’a embarqué qu’à Tampere. Il manquait donc les images de la capitale, ce qui est un peu dommage. Le présentateur masculin, Iiro Rantala, est un musicien de jazz bien connu en Finlande et l’émission a commencé par une interview de Kari Väänänen, un acteur et une célébrité locale, mais un parfait inconnu au sud de la Baltique. Jaakko Kolmonen, un cuisinier de télé a fait une démonstration d’éviscération de poissons, mais l’émission ne nous expliquait pas que cela fait trente ans qu’il passe à la télé, puisque c’était évident pour le public finlandais. Le train s’est arrêté dans plusieurs gares, où il y avait diverses animations. Des interviews de people ou de gens ordinaires ont eu lieu dans le train, ce qui donnait un tableau sociologique de la société finlandaise: deux couples qui s’étaient rencontrés sur internet, un homo et un hétéro; deux adolescents altermondialistes, écolos, objecteurs de conscience et végétaliens; Roman Schatz, un journaliste et écrivain allemand établi depuis très longtemps en Finlande; une grand-mère et son petit-fils qui adore les trains; une numérologue; Rosa Liksom, auteur anticonventionnelle, traduite en plusieurs langues. J’ai aussi pu me rendre compte que l’accordéon est un instrument très populaire là-bas et que ce sont surtout de jeunes femmes qui en jouent.



Nous profitions des documentaires et des intermèdes musicaux pour aller grignoter quelque chose, voire pour aller dehors, respirer un peu d’air frais. Il fallait tenir toute la nuit, que diable! Le train a fini par arriver à Rovaniemi. Il n’a jamais fait nuit, pas même à Strasbourg quand nous sommes allés prendre un bol d’air vers 4h du matin. A 8h du matin, c’était terminé et nous nous sommes éparpillés aux quatre vents. Certains ont directement pris le train ou la voiture pour rentrer chez eux. Quant à moi, je suis allée dormir à l’hôtel, cela équivalait à une sorte de décalage horaire.
Y a-t-il un public pour ce genre d’émission? Qui diable va rester debout toute la nuit et regarder des plans interminables d’un train qui traverse des forêts tout aussi interminables? Il semblerait que ce programme ait eu un taux d’audience honorable en France, un peu moins en Allemagne; on ne sait évidemment pas combien de personnes l’ont possiblement enregistré. En Finlande, la plupart des gens auront choisi de faire la fête en grillant des saucisses plutôt qu’en regardant la télé. Ils ont cependant été nombreux sur facebook 2) à cliquer J’aime, à laisser des commentaires et à demander s’ils recommenceront l’année prochaine. 
Quant à nous qui avons passé la nuit dans les studios à Strasbourg, nous nous sommes bien amusés à faire ce contrat qui sortait de l’ordinaire à tout point de vue. A mon avis, ce n’est pas demain la veille qu’une telle occasion se présentera à nouveau.





1) visible encore quelques jours sous www.arte.tv/finlande , puis cliquer sur Carte interactive