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mardi 12 décembre 2023

Bild Lilli, la mère de toutes les Barbie

Bild Lilli  (Hong Kong)

Les poupées existent depuis toujours, dans toutes les cultures du monde. Chez nous, elles ont longtemps représenté des bébés, des poupons, puisque les fillettes pré-pubères devaient forcément s’identifier à leur futur rôle de mère. L’avènement de Barbie est venu bouleverser ce paradigme, comme le démontrent les premières minutes du récent blockbuster de Greta Gerwig, où l’on reconnaît aisément les premières images de 2001 Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick: de sages petites filles jouent à la maman avec des poupées traditionnelles, jusqu’à ce qu’un monolithe surgi de nulle part leur adresse un sourire charmeur et un clin d’œil. A partir de ce moment-là, ces mini-femmes en devenir démolissent le destin traditionnel qui leur est assigné avant même qu’elles ne sachent lire et écrire, pour s’identifier à une irrésistible séductrice portant des escarpins assortis à une garde-robe illimitée. 

Mais revenons au commencement. Dans les années -50, le journal allemand Bild a lancé une caricature coquine en guise de Page 3 Girl : une secrétaire avenante, blonde et coquine, pas bégueule, plutôt dévêtue et croqueuse d’homme, qui s’appelait Lilli. Elle est rapidement devenue populaire, au point qu’une poupée à son effigie a été créée. Ce qui est étonnant est que ladite poupée s’adressait à un public d’hommes adultes. Elle était vendue dans des bars, des boîtes de nuit et des bureaux de tabac. C’était un jouet gag qu’on offrait, par exemple, lors d’enterrements de vie de garçon.


1965 Barbie originale, photo : Nelson Tiffany, Los Angeles Times


L’été 1956, Ruth Handler, co-fondatrice de Mattel, passe devant la vitrine d’un magasin de jouets à Lucerne avec sa fille et toutes deux restent scotchées devant une poupée Lilli. Cela faisait des années qu’elle tentait de convaincre ses collègues masculins de créer un jouet représentant une femme adulte plutôt qu’un bébé. L’idée était de permettre à sa fille, Barbara, de se projeter dans l’avenir, comme pouvaient le faire les garçons qui s’imaginent volontiers pompier ou astronaute, mais certainement pas papa. Grâce à la figurine Lilli existante, Ruth Handler a enfin réussi à convaincre l’équipe de Mattel de se lancer dans cette aventure. La poupée a été légèrement adaptée pour la rendre légèrement moins vulgaire et sexuelle ; les boucles d’oreilles et les escarpins de Lilli étaient peints, alors que Barbie a des orteils et une kyrielle d’escarpins - qui se perdent et qu’il faut racheter, voilà qui est bien commode ! Lilli portait une queue de cheval, Barbie aussi, mais par la suite, ses longs cheveux libres flottaient librement. Toutes deux ont une silhouette en sablier et de longues jambes dénuées de cellulite. 

Barbara Millicent Roberts, alias Barbie, est officiellement née le 9 mars 1959, lorsqu’elle a été présentée à la New York Toy Fair par Ruth Handler en tant que « Teenage Fashion Model ». Greiner et Hausser, créateurs de Bild Lilli, ont intenté un procès contre Handler pour plagiat en 1961. Le litige a pu être réglé à l’amiable et c’est ainsi que Mattel a pu acheter les droits sur Lilli en 1964 pour 21.600 USD. A partir de ce moment-là, Lilli quitte la scène et disparaît à tout jamais. Un tel jouet pour hommes ne pourrait de toute manière plus exister de nos jours, ce serait bien trop sexiste. 


éditions Assouline

Toutes les fillettes du monde occidental - ou presque - ont eu une Barbie, certaines en ont des dizaines, ainsi que tous les habits et accessoires qui vont avec (maison, voiture, cheval ….). Toute femme normalement constituée a également un partenaire masculin et c’est ainsi que Ken a vu le jour en 1961. Mais comme il s’agit d’un joujou pour fillettes, celui-ci est évidemment dépourvu de tout attribut viril. On a amplement critiqué le physique impossible de Barbie, mais personne ne semble s’offusquer du corps glabre et non-binaire de son petit ami. 


Aujourd’hui, Barbie est décriée comme étant le stéréotype sexiste de la femme objet, mais on oublie qu’au départ, elle offrait une perspective nouvelle de la femme, libérée des fourneaux, des bébés et du ménage. Le slogan de Barbie n’est-il pas : You can be anything you want ? Cette poupée a représenté une hôtesse de l’air, une astronaute, une policière, une zoologiste, une candidate aux élections présidentielles, une chimiste, une joueuse de baseball, une chirurgienne ….. liste non-exhaustive. Oui, mais toutes ces représentations sont toujours jeunes, belles et minces. Certes, mais est-ce bien différent dans les magazines féminins, les publicités, les films ? Barbie et tous ses avatars ont un physique impossible, aucune femme qui leur ressemblerait ne pourrait ni marcher ni tenir debout. De nos jours, Photoshop et les filtres glamour des réseaux sociaux ont pris le relais pour ce qui est de proposer des idéaux inatteignables aux jeunes filles et aux femmes, Barbie est finalement assez inoffensive de ce point de vue-là. Qui donc s’imagine ne mesurer que 29 centimètres ?




L’existence des Barbies dans le monde n’a en rien empêché de nombreuses femmes de devenir médecin, avocat, premier ministre ou lauréate du Prix Nobel. Les stéréotypes ont la vie dure et perdureront tels des cafards, même si toutes les Barbies devaient disparaître demain. Les religions et les traditions y veilleront. Dans le monde de Barbie tel que décrit dans le film éponyme, ce sont les Kens qui occupent la place des femmes : ils n’ont aucun pouvoir et ils consacrent tous leurs efforts à plaire au sexe opposé, ils ne sont que des faire-valoir. Le film aura au moins le mérite de nous faire rêver à un monde où les stéréotypes de genre auront disparu et où chacun et chacune sera libre d’être qui il ou elle souhaite être, en toute sincérité. 


https://bild-lilli.com/ 






mercredi 9 août 2023

La plus belle femme du monde

Hedy Lamarr (1914-2000)

Any girl can be glamorous. All you have to do is stand still and look stupid.”


Nous avons tous des préjugés. Plus ou moins conscients, plus ou moins avouables, difficilement maîtrisables. Pendant des siècles, parmi les préjugés les plus courants on trouvait : a) les femmes ne peuvent pas être intelligentes ; b) les jolies femmes sont forcément des bécasses ; c) il est impossible qu’une starlette de Hollywood puisse breveter une invention qui aurait sans doute pu changer le cours de la deuxième Guerre mondiale. Et pourtant …. Voici l’histoire de Hedwig Kiesler, mieux connue sous le nom de Hedy Lamarr.

Cette future star est née en 1914 à Vienne, à l’époque encore en Autriche-Hongrie. Elle mourra en Floride en 2000, seule, ruinée et recluse, alors que son invention révolutionnaire a changé la face du monde sans qu’elle n’ait jamais touché le moindre sou. Compte tenu des bruits de bottes qui commencent à se faire entendre dans les années 30, Hedwig Kiesler, d’origine juive, fuit l’Europe et fera carrière aux Etats-Unis, comme tant dautres exilés européens. A 12 ans, elle gagne un concours de beauté et à 19 ans, elle tourne dans le premier film érotique de l’histoire du cinéma, Extase (Gustav Machatý, 1933). Cette œuvre, qui dévoile une femme nue, ainsi qu’un orgasme féminin, fera sensation, choquera les esprits et marquera la vie et la carrière de Hedy Lamarr de façon irréversible, telle une tache impossible à laver. Elle fera néanmoins une brillante carrière à Hollywood, côtoyant les plus grandes stars du grand écran, ainsi que tous les grands noms ayant, comme elle, fui le nazisme. Elle dira plus tard que sa beauté était une malédiction, car personne ne voyait qui elle était, au-delà de la surface.



Dès l’enfance, elle s’est intéressée à la science et à la technique, notamment grâce à son père qui a su éveiller son intérêt pour les mystères du monde. Elle a également appris plusieurs langues, ainsi que le piano et l’équitation, comme la jeune fille de bonne famille qu’elle était. Le premier de ses six maris était Friedrich Mandl, un marchand d’armes qui faisait de juteuses affaires avec les forces de l’Axe. En tant qu’épouse et hôtesse aussi discrète qu’élégante, Hedwig a entendu et compris beaucoup de choses, sans que personne ne soupçonne qu’une si jolie femme puisse y comprendre quoi que ce soit. Quelques années plus tard, rongée par le remords et la culpabilité sous le soleil de Californie, elle tenait absolument à agir contre la guerre. C’est lors d’une soirée que Hedwig, qui s’appelle dorénavant Hedy Lamarr, rencontre le compositeur George Antheil, pianiste moderniste et inventeur à ses heures, lui aussi un émigré des années 30. La rencontre de leurs deux esprits exceptionnellement curieux et novateurs débouchera sur une idée permettant d’empêcher le brouillage de la communication radio-téléguidée des torpilles, moyennant l’étalement de spectre par saut de fréquence, ce qui permettrait alors à ces munitions de mieux atteindre leurs cibles, tout en empêchant l’ennemi d’accéder aux fréquences du téléguidage. L’idée consistait à constamment modifier, de façon simultanée, la fréquence à laquelle communiquaient le sous-marin et la torpille. Il devenait ainsi impossible de brouiller ce lien, puisqu’il changeait sans cesse. 




L’invention a été déposée et brevetée par le US Patent Office en août 1942, mais totalement négligée par l’armée américaine - qui ne l’a tout simplement pas comprise - tout en étant classée Secret Défense. A noter que les torpilles américaines étaient particulièrement inefficaces à l’époque. Ce système a pourtant été exploité par la US Army lors de la crise des missiles à Cuba (1962), sans que les inventeurs n’aient jamais été rémunérés, ni même remerciés. Le brevet ne ressortira des tiroirs qu’en 1997, permettant alors le lancement des systèmes satellites modernes, de la WiFi, des téléphones sans fil et cellulaires, du Bluetooth et des systèmes GPS. Hedy Lamarr n’a jamais tiré le moindre bénéfice de ce brevet, échu au bout de 20 ans. Antheil quant à lui est décédé en 1959. La valeur globale de toutes les inventions qui en sont dérivées est aujourd’hui estimée à 30 milliards USD. Hedy Lamarr a toutefois été honorée, des années plus tard, par le Pioneer Award of the Electronic Frontier Foundation, ainsi que le Invention Convention's Bulbie Gnass Spirit of Achievement Award.

Ni Hedwig Kiesler ni George Antheil n’ont fait d’études universitaires ou techniques, ayant tous deux abandonné leur scolarité avant le baccalauréat. Hedy Lamarr avait constamment toutes sortes d’idées très créatives et originales. Elle a inventé un petit cube effervescent permettant de produire une boisson gazeuse. C’est également elle qui a suggéré à son petit ami Howard Hugues, aviateur et constructeur aéronautique, de placer les ailes des avions à l’oblique, plutôt qu’à angle droit, pour leur permettre de voler plus vite. Pour cela, il lui avait suffi d’observer les oiseaux et les poissons. Elle a eu l’idée d’un siège tournant permettant d’entrer et de sortir de la douche ou encore d’un collier fluorescent pour chien. Enfin, c’est encore elle, nostalgique de ses Alpes autrichiennes, qui a fait construire une Villa Lamarr à Aspen, contribuant ainsi à faire de ce bled perdu une station de ski à la mode. Lorsque sa beauté a commencé à se faner, elle a eu recours à la chirurgie esthétique, avec des résultats plutôt calamiteux à l’époque, en suggérant toutefois au chirurgien de faire en sorte à placer les cicatrices derrière ses oreilles. Sa carrière déclinant inexorablement, elle est finalement devenue une des nombreuses patientes-victimes du Dr Feelgood, Max Jacobson de son vrai nom, qui requinquait les stars en leur injectant des « vitamines », en réalité de la méthamphétamine (crystal meth). Droguée, has been et abîmée par de multiples interventions esthétiques, elle finira sa vie en recluse et mourra en 2000, à l’âge de 85 ans. 

picture alliance / Everett Collection

Elle est en train d’être redécouverte, plus de 20 ans après sa mort - mieux vaut tard que jamais ! On trouve désormais des t-shirts à son effigie, Johnny Depp et Jeff Beck lui ont consacré une chanson. Quand on pense qu’elle a servi de modèle à la Blanche-Neige de Disney, ainsi qu’à Catwoman et qu’elle a tourné des films avec tous les grands noms de Hollywood, il est difficile de comprendre comment elle a pu ainsi tomber dans l’oubli. Sa nudité dans Extase l’a empêchée d’être jamais prise au sérieux. Son autobiographie apocryphe a encore enfoncé le clou, en la réduisant à une chaudasse et à une bombasse…. Le livre ne mentionne aucune de ses inventions et efface totalement son esprit brillant.

Alors ayons une pensée pour Hedwig Kiesler chaque fois que nous consultons notre téléphone mobile et évitons de présumer de l’intelligence d’une personne en nous basant uniquement sur son aspect physique. Tenons-nous prêts à prendre au sérieux même les idées les plus folles et ouvrons nos oreilles avec bienveillance à ceux qui ne pensent pas comme nous. Finalement, c’est peut-être nous qui avons tort !

My face has been my misfortune, it’s a mask I cannot remove. I must live with it. I curse it.

The brains of people are more interesting than their looks
All creative people want to do the unexpected




https://hedylamarr.com/
https://leaders.com/articles/leaders-stories/hedy-lamarr-inventions/
https://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2018/02/article_0002.html 

Marie Benedict : La femme qui en savait trop (roman), 2021, éditions 10718
Alexandra Dean : Bombshell (documentaire), 2017


jeudi 5 mai 2022

Que faut-il penser de Squid Game ?


Qui n’a pas entendu parler de Squid Game, cette série coréenne qui cartonne sur Netflix ? Elle est si populaire que absolument tout le monde la connaît, même sans l’avoir regardée. Mais pourquoi un tel succès, alors que ce n’est certainement pas le premier film ou série à aborder le thème de la survie, notamment grâce à l’élimination des autres concurrents. C’est le principe de tous les programmes de télé-réalité, Big Brother, le Loft, les Marseillais à Cancún etc… évidemment sans que les participants ne soient froidement abattus sans aucune possibilité de fuite, de négociation ou de recours, comme c’est le cas dans Squid Game. 


La série met en scène une société en miniature, dont chaque membre est lourdement endetté. On y trouve des riches et des pauvres : un banquier qui a fait de brillantes études, un travailleur immigré pakistanais; des jeunes et des vieux : le concurrent N° 001 est un faible vieillard dont personne ne veut dans son équipe;  des personnes ayant réussi dans la vie et des losers : un médecin, un chauffeur qui joue au tiercé avec l’argent de sa maman; ainsi qu’une nord-coréenne qui a réussi à fuir son pays, un gangster ou encore une femme qui offre ses charmes dans l’espoir de trouver un homme fort qui la protège. Il y a les meneurs et les suiveurs, les malins et ceux qui sont trop gentils. Nous suivons une dizaine de protagonistes dont nous devinons qu’ils ne mourront qu’à la fin de la série, les autres candidats n’étant que des figurants qui se font dézinguer sans qu’on ne se soucie trop d’eux. Les participants aux jeux sont en majorité masculins. Il peut s’agir d’un choix du réalisateur ou alors on pourrait en déduire que les femmes savent mieux gérer leurs affaires et se retrouvent moins souvent dans une situation qui les contraindrait à participer à ce genre de tombola macabre. Le dernier survivant pourra repartir avec 45,6 milliards de won (environ 38 millions USD), voilà de quoi les motiver tous.


Bien que moins nombreux, les personnages féminins sont intéressants. Le N° 067, une jeune réfugiée nord-coréenne froide et impitoyable, a appris à ne faire confiance à personne et ne compte que sur elle-même. Elle sera prête à tout pour gagner, pensant que cela permettra à sa famille de la rejoindre au sud. Les 456 participants ne sont que des pions anonymes, mais lorsqu’ils donnent leur nom à un autre joueur, cela crée une relation d’amitié et de confiance entre eux. Le N° 212 est aussi une survivante, une manipulatrice habituée à tirer toutes les ficelles, mensonges, fausses larmes et trahisons. Ces joueuses témoignent de la dure vie des femmes en Corée du Sud, où elles doivent se battre à armes égales avec les hommes dans une société compétitive, tout en étant encore liées par les rôles traditionnels qui veulent qu’elles se marient et se sacrifient pour leur famille. 



L’actuelle pandémie n’est sans doute pas étrangère à l’immense succès de Squid Game. Cet enfermement anxiogène dont la seule issue est la mort semble trouver un écho chez pas mal de gens, même si le virus tue ou rend malade sans qu’il n’y ait de concurrence entre les humains. En effet, avec le virus, tout le monde a sa chance ! Les internautes coréens ont créé le terme Hell Joseon (ou Hell Korea), qui décrit la société coréenne comme un enfer sans espoir, une société de chômage et d’inégalités, où nul ne peut échapper au piège de la pauvreté, malgré des journées de travail interminables, un monde irrationnel où chacun ne défend que ses propres intérêts. Cela aurait même pu être le titre de la série. Il est en effet assez difficile de comprendre où se cache le calamar, que ce soit dans les jeux ou dans le schéma géométrique du logo de la série. 


Les enfants ne sont pas non plus insensibles à la fascination que provoque un tel déluge de violence et de cruauté. Il est effrayant de voir avec quelle joie leurs jeunes cerveaux reproduisent ce jeu de massacre, incapables qu’ils sont de trier et d’analyser les informations qu’ils reçoivent. Dans plusieurs pays, des bambins ne sachant pas encore lire ni écrire ont pourtant compris que celui qui perd mérite d’être roué de coups. Il ne faut pas grand chose pour que le vernis de civilisation de notre société ne s’effrite, avant même qu’on n’ait le temps de compter jusqu’à trois ! Songeons aussi à la violence, au harcèlement et aux menaces de mort qui pleuvent quotidiennement sur ceux qui ont le malheur d’enfoncer des portes ouvertes ou d’affirmer des vérités dérangeantes. Regarder des films violents peut offrir une sorte d’exutoire ou de catharsis à la peur de la douleur et de la mort, mais que faire lorsque la violence est omniprésente ? Comment des enfants peuvent-ils comprendre que la cruauté, c’est mal, si leurs propres parents sont passionnément vissés devant leur écran, à se demander qui sera le dernier survivant dans un camp de prisonniers coréens ? 


Le réalisateur, Hwang Dong-hyeok, avait écrit cette série en 2009 déjà, mais ce n’est que dix ans plus tard qu’il a enfin pu la réaliser, grâce au désir de Netflix d’élargir sa palette avec des productions internationales. Tous les records d’audience ont été dépassés en quelques semaines. Il est vrai que l’histoire est prenante - bien que parfaitement invraisemblable - et les acteurs sont excellents, tout comme les décors, l’ambiance, le suspense…. Au commencement, les participants sont solidaires et s’entraident, jusqu’à ce qu’ils comprennent que chaque élimination augmente leurs chances de remporter la cagnotte, car il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur. A partir de là, cela devient une lutte impitoyable et sans merci. 


Un autre exemple de compétition où l’enjeu était sa propre survie est celui des marathons de danse aux Etats-Unis lors de la Grande Dépression : des couples dansaient jusqu’à l’épuisement, parfois pendant plusieurs jours, dans l’espoir de gagner 100$. Les participants étaient nourris, mais devaient manger sans cesser de danser. C’est ce que décrivent le roman On achève bien les chevaux1), de Horace McCoy (1935), puis le film éponyme de Sidney Pollack (1969). Plusieurs décennies plus tard sont apparus des jeux télévisés où les participants sont placés dans des conditions de vie difficiles sur des îles lointaines, le but étant d’être le dernier survivant, après l’élimination de tous les autres concurrents : p.ex. Survivor, programme de télé-réalité américain créé en 1992 par Charlie Parsons, mais lancé pour la première fois en Suède, en 1997, sous le titre de Expédition Robinson. L’équivalent à la télévision française s’appelle Koh Lanta, d’après l’île thaïlandaise où le programme a démarré. C’est à la même époque (1999) que Kōshun Takami a publié son roman Battle Royale, qui décrit la (sur)vie de quarante lycéens envoyés sur une île,

où ils doivent sentretuer en respectant tout un ensemble de règles.  Cette œuvre a ensuite été adaptée en manga, puis en film par Kinji Fukasaku en 2000. Un nouvel avatar sera Fortnite Battle Royale, où le terrain des joueurs ne cesse de rétrécir, alors qu’ils doivent éliminer tous les autres, afin d’être le dernier survivant et ainsi sortir gagnants. Grâce à ce pitch, Fortnite est devenu un méga-succès planétaire. 



Reste à comprendre pourquoi ces scénarios si cruels, si horribles exercent un tel pouvoir de fascination. Est-ce parce que chacun comprend la métaphore de la survie dans un monde moderne de plus en plus impitoyable, froid, impersonnel, égoïste ? La pandémie aurait-elle rappelé à chacun d’entre nous la fragilité de notre petit confort, de nos certitudes quant à la paix et la prospérité qui semblent aller de soi, jusqu’à la fin des temps ? La mort semble avoir complètement disparu de nos existences, même si on se berce encore dans l’illusion que ça n’arrive qu’aux autres. Les secteurs du tourisme, du spectacle, de l’aviation, de l’hôtellerie, de la restauration tirent la langue, bien des personnes perdent leur travail….. Seraient-ils tous prêts à jouer à Squid Game pour retrouver leur niveau de vie d’avant ? Fort heureusement, il y a encore les soutiens et aides diverses, mais pour combien de temps ? Après la douzième vague et le quinzième variant du coronavirus, il ne sera peut-être plus nécessaire de se battre pour un emploi, pour un logement ou pour une chaise longue au bord de la piscine, car il y aura enfin assez de place et de pain pour tout le monde.
 


  1. They Shoot Horses, Don’t They ? Horace McCoy (1935)

jeudi 25 février 2021

La reine Christine de Suède (1626-1689)

La reine Christine par Sébastien Bourdon  (1616-1671)

Depuis la nuit des temps, les femmes ont été confinées au rôle d’épouses et de mères, priées de ne pas faire de vagues, de ne pas faire de bruit et, surtout, de ne pas se faire remarquer. Certaines femmes sont très heureuses dans ce corset social qui leur est réservé, mais toutes ne trouvent pas leur bonheur dans un moule aussi rigide. De nombreuses femmes ont vu leur talent et leur génie étouffé par les convenances sociales. Pour une Marie Curie, combien d’Alma Mahler, combien de Fanny Mendelssohn ou de Mileva Einstein?  


Il y a pourtant eu une femme extraordinaire qui a non seulement refusé de se plier à l’obligation de se comporter comme une dame, mais qui a également refusé les contraintes liées à son sang royal. Dès sa naissance, Christine de Suède a fait croire à tout le monde qu’elle était un garçon, étant née très poilue et d’un sexe ambigu. La généalogie royale n’attend que des héritiers mâles et la cour de Suède avait besoin d’un garçon, mais voilà…. à y regarder de plus près, c’était bien une fille. Le trône ayant besoin d’un successeur, suite au décès du roi sur le champ de bataille lors de la guerre de Trente Ans, Christine est devenue reine à l’âge de six ans.


Christine de Suède est certes née fille, mais a elle été élevée comme un garçon. Elle a été formée à l’art de gouverner, elle a appris à monter à cheval et à manier l’épée. Elle était hautement intelligente, elle s’intéressait à l’art, à la littérature et aux sciences. A l’âge de vingt ans, elle maîtrisait le latin, le français, l’allemand et le néerlandais, auxquels elle a encore ajouté le grec ancien, l’italien et l’espagnol, ainsi que des rudiments d’hébreu et d’arabe. Elle recevait aussi un enseignement en théologie et en philosophie. Elle n’était pas une femme ordinaire, loin de là. Non seulement elle se conduisait de façon masculine, mais elle cherchait à éliminer toute féminité dans son habillement. Elle disait préférer la compagnie des hommes, non pas parce qu’ils sont des hommes, mais parce qu’ils ne sont pas des femmes. 


La reine Christine conversant avec René Descartes (Nils Forsberg d'après Dumesnil) 

La reine invitait de beaux esprits à sa cour, parmi lesquels René Descartes, avec qui elle voulait débattre de l’âme, de l’esprit et de leur rapport à notre corps. Le malheureux Descartes est mort à Stockholm peu de temps après son arrivée, probablement d’une inflammation pulmonaire. Après avoir été enterré dans un cimetière pour non-protestants, sa dépouille a été rapatriée en France, mais sans son crâne…. Mais c’est une autre histoire.


Le rôle de tout monarque est d’être à la tête d’un royaume, de guerroyer, mais aussi de donner un héritier au trône. Toutefois, la reine Christine refusait de se marier. On la disait très libertine, vivant ses passions avec des amants des deux sexes. Lasse de devoir subir de telles pressions, refusant de renoncer à sa liberté en se pliant au joug du mariage, elle finit par désigner son cousin Charles-Gustave prince-héritier. Enfin, dégoûtée du pouvoir, elle finira par abdiquer en 1654 à l’âge de 28 ans et se convertira au catholicisme.


Après un long périple à travers l’Europe, elle s’établira à Rome en 1655. Elle y mènera une vie consacrée aux sciences, aux arts et aux lettres. Elle y terminera sa vie et sa tombe côtoie celles de papes à la basilique Saint-Pierre de Rome. Grâce à son statut de reine, née dans un pays sans doute déjà très tolérant et favorable à l’égalité des sexes, elle a pu vivre selon son tempérament vif et fougueux et n’a pas eu besoin d’étouffer son intelligence afin de paraître normale et de mener la vie conventionnelle réservée aux femmes. 

Greta Garbo in Queen Christina
A ce propos, il est intéressant de constater que le film qui a été tourné en 1933 aux Etats-Unis par Rouben Mamoulian relate de façon relativement fidèle le parcours de vie très romanesque de la reine Christine, incarnée par Greta Garbo. Sauf …. sauf …. qu’au cinéma, c’est évidemment l’Amour qui est le motif principal de l’abdication de la reine. Elle tombe amoureuse de l’émissaire du roi d’Espagne, avec qui elle converse de Velazquez et de Calderón. Elle renonce au trône, car le peuple n’accepte pas que la reine fréquente un étranger, l’héritier de la cour devant être de sang suédois. Elle choisit la liberté, mais les rigueurs du romantisme veulent que l’homme à qui elle a donné son cœur et sa vie meure dans ses bras, des suites d’un duel. 

John Gilbert jouant Don Antonio
On pourrait se demander comment Christine aurait vécu, si elle était née au XXème siècle ? Serait-elle une égérie des mouvements LGBTQI ? Serait-elle le fer de lance d’une grève pour le climat ? Serait-elle prix Nobel ou auteur à succès ? Tout ce que je souhaite, c’est que les Christines de ce monde puissent dorénavant pleinement déployer leurs ailes, développer leurs talents et laisser libre cours à leurs passions, même si cela signifie déranger en étant différentes.


Voir le documentaire Secrets d’Histoire, avec Stéphane Bern, sur Daily Motion

https://www.dailymotion.com/video/xsotz3  


La scène finale du film


Un documentaire sur la reine Christine



samedi 29 décembre 2018

Qu’il est dur d’être un homme !

Le Grand Bain de Gilles Lellouche, 2018
Chacun le sait, tout le monde a pu l’observer, les relations hommes-femmes subissent une véritable crise, peut-être même une révolution. Le modèle traditionnel de la famille n’en mène pas large; à cela vient s’ajouter une bonne dose d’individualisme et de narcissisme, exacerbée par les réseaux sociaux et le besoin de paraître. Ceux qui acceptent de jouer à ce jeu s’imposent la pression et l’obligation d’être quelqu’un, d’avoir une vie passionnante, d’être beau et d’avoir du succès, afin de pouvoir ensuite afficher ses photos et selfies sur Instagram ou Facebook. 

Pour les hommes (au sens de sexe masculin), la pression est d’autant plus marquée qu’ils ont, depuis toujours, le besoin d’être le mâle alpha, d’avoir une belle voiture, une Rolex et la jolie jeune femme qui va avec. C’est véritablement le fil conducteur qui parcourt le film Le Grand Bain de Gilles Lellouche [attention: Spoilers !!]. Des hommes dans la quarante-cinquantaine, très ordinaires, très franchouillards, vivant, travaillant et survivant du mieux qu’ils le peuvent quelque part en France banale (le décor n’est ni la Provence, ni la Bretagne, ni la Corse) s’adonnent à la natation synchronisée masculine. Ils sont tous cabossés par la vie, dépression, vie familiale boiteuse, et c’est l’entraînement à cette discipline improbable qui les réunit. Après le bassin, ils se retrouvent au sauna, où chacun s’épanche et dévoile ses faiblesses. N’ayant évidemment jamais pu être une mouche sur le mur pendant ce genre de réunion masculine, il m’est impossible de savoir si c’est vraisemblable - on dira que ça l’est, aux fins du scénario. Le plus cocasse est d’imaginer qu’ils acceptent de se soumettre à un entraîneur femme (c’est à dessein que je ne dis pas entraîneuse ;-)) d’abord Virginie Efira, suivie de Leila Bekhti, qui les mène littéralement à la baguette avec toute la douceur d’un US Marine. Elle les engueule et leur donne des coups de cravache, mais ils se soumettent et lui obéissent. Nous sommes bien dans une oeuvre de fiction ! Tous ces hommes subissent les railleries de leur entourage, parce qu’ils suivent une activité de tapettes - voilà encore une des nombreuses contraintes que subissent nos pauvres hommes, l’obligation d’être un macho et l’interdiction absolue de s’approcher de tout ce qui n’est pas foot-bagnole-violence. Les personnages du film sont d’ailleurs parcourus en permanence par le besoin de revanche, les affrontements d’egos, les mots et les gestes violents, à quoi viennent s’ajouter la nécessité de réussir et d’avoir un emploi valorisant. 

Leila Bekhti et Philippe Katerine
Ce qui est frappant dans ce film, c’est que la souffrance de chacun des personnages vient de leur incapacité à avouer leurs points faibles, à montrer une part de douceur ou de tendresse, à reconnaître leurs erreurs, à aimer leur femme et leurs enfants au lieu de se préoccuper de leur image et de leur réussite. Bref, leur refus d’accepter leur part de féminité. Etre plus fort que son voisin ou son collègue semble être le maître mot. C’est exactement ce qui se passe entre Poutine, Trump et Kim Jong-un (qui a le même âge que Leila Bekhti, il serait intéressant de comparer leurs horoscopes) : c’est à qui aura la plus grosse fusée, à qui pissera le plus loin, grâce à ses missiles hypersoniques. Si seulement toute cette énergie et tout cet argent pouvaient servir à nourrir la planète et à éduquer les masses, le monde serait bien différent. Et que se passe-t-il, une fois qu’on est le plus grand et le plus fort de tout l’univers? On a peur d’être détrôné….. C’est un cycle sans fin, qui ne peut déboucher que sur du malheur.

Deux personnages semblent échapper à cette torture permanente, c’est Philippe Katerine,  qui joue une sorte de gros benêt et Balasingham Thamilchelvan, un Sri Lankais sorti on ne sait d’où, qui baragouine dans une drôle de langue que personne ne comprend; ils sont d’ailleurs toujours d’accord avec lui. Les personnages féminins portent aussi leur croix (« ton mari est plus minable que le mien »), entre Delphine, qui est une alcoolique au cœur brisé et Amanda, qui est paraplégique, mais néanmoins la plus forte de tous. Le film raconte, sous forme de sketches, la vie et le destin des différents personnages, qui sont pitoyables, chacun à sa façon.

Stockholm Art Swim Gents
A noter que la natation synchronisée est une discipline très exigeante et complexe, qui demande une très grande force cardio-respiratoire, ainsi qu'une grande énergie musculaire. Les athlètes doivent être souples, puissants, créatifs et endurants. Cette discipline demande de la concentration pour suivre le rythme musical, se déplacer et se repérer en trois dimensions dans l'eau. Proche de la danse, la natation synchronisée doit faire preuve de grâce, d'élégance, de beauté et de souplesse mais aussi de tonicité, selon Wikipedia. Et malgré cela, ça passe pour un amusement pour pédés, si d’aventure des hommes se lanceraient. Ce sport est essentiellement féminin, mais commence à s’ouvrir au sexe dit fort, avec notamment des binômes mixtes, un peu comme au patinage artistique. C’est une discipline olympique depuis 1984.



Post scriptum avec spoiler : ce film suit l’intrigue classique d’un projet fou, voué à l’échec et qui aboutit pourtant. Cette bande de losers gras du bide obtient la médaille d’or aux championnats du monde en Norvège. La morale de l’histoire est alors que pour retrouver l’amour de sa femme et l’estime de sa fille, il faut au moins une médaille d’or. C’est un peu dommage. J’aurais préféré qu’on dise aux hommes qu’il suffirait d’être un peu moins brutal et avoir un peu plus d’empathie, d’humilité, d’ouverture envers son prochain pour être quelqu’un de bien. Ne pas être constamment fauché, bourré ou paresseux est un atout. Ils auraient pu revenir bredouilles de Norvège, mais en ayant noué des liens d’amitié et en ayant enrichi leur vie d’une expérience inoubliable. 

Swimming With Men de Oliver Parker, 2018

Post Post Scriptum : Amusant: les Britanniques ont sorti un film identique, intitulé Swimming with Men (voir ICI), sorti de façon quasiment synchrone avec Le Grand Bain. Cette coïncidence s’explique par le fait que les Suédois (who else ?) ont décidé de relancer ce sport pour les hommes, avec le Stockholm Art Swim Gents, ce qui a donné lieu au tout premier film du genre, en 2008, Allt Flyter ou The Swimsuit Issue en anglais. Il y a également Men Who Swim, un film britannico-suédois sorti en 2010. A croire que ça va devenir une catégorie cinématographique, comme le western ou la comédie musicale. A noter également que cela semble être le remède aux crises existentielles qui frappent autour de la cinquantaine. A bon entendeur !


La natation synchronisée masculine existe-t-elle vraiment ?  ICI


Un nouveau souffle de Karl Marcovics, cinéaste autrichien. Toutefois, il n'y est pas question de natation synchronisée. 


mercredi 15 août 2012

Clichés de cinéma



Les films nous racontent des histoires selon un langage codé que nous avons tous appris à décrypter. Le style de narration a changé au fil des ans, le rythme aussi, mais certains clichés sont inoxydables, je pense même que cela nous manquerait s’ils venaient à disparaître. Dans les vieux films, on voyait toujours des unes de journaux qui défilent dans les rotatives ou alors qui s’affichent après avoir effectué plusieurs tours, comme pris dans un tourbillon. C’est sans doute Orson Welles et Citizen Kane qui ont lancé cette mode. De nos jours, on ne voit plus des pages de calendrier qui s’effeuillent, une à une, pour signifier le temps qui passe, on a trouvé d’autres astuces, comme l’arbre qui perd ses feuilles puis reverdit en accéléré. Imaginons ce que donnerait un film entièrement constitué de clichés et de codes bien connus :



Une ville, une rue, au loin, la Tour Eiffel : nous sommes à Paris.  Une voiture s’avance, le pare-brise absolument nickel, les frondaisons des arbres s’y reflètent si bien qu’on voit à peine les personnages qui se trouvent dans l’habitacle. Ladite voiture parvient à se garer, du premier coup, exactement devant la bonne porte. Un inspecteur de police, gros (donc sympathique) et afro-américain s’il s’agit d’un film américain, sonne à la porte. Les personnages officiels sonnent à la porte, les amis quant à eux frappent, même si la sonnette a déjà été inventée et qu’elle fonctionne. A l’intérieur, un écrivain au travail, soit sur une machine à écrire mécanique, soit sur un Apple (avez-vous remarqué que les ordinateurs sont toujours et ostensiblement des Mac ?). Il ôte ses lunettes, dont les verres sont parfaitement plats et d’une propreté chirurgicale, ouvre la porte tout grand, sans regarder par le judas, des fois que ce serait un tueur à la tronçonneuse. Il fait entrer le flic, personne ne referme la porte. Ils boivent du café dans des tasses vides, d’ailleurs ils n’avalent même pas.

Breakfast at Tiffany's
Après le départ de l’agent, l’écrivain prend une valise et y jette pêle-mêle tous les habits qui se trouvent dans ses tiroirs (quoique, ce sont en général les personnages féminins qui font ça). Avant de partir, il regarde une dernière fois par la fenêtre de sa chambre à coucher. Dans l’immeuble d’en-face, une femme est en train de se déshabiller sans tirer les rideaux. Il sort de son immeuble, un taxi passe immédiatement, il le hèle, monte et donne une adresse au chauffeur.  A l’arrivée, ils sort des billets au hasard de sa poche, par exemple 100 euros ou dollars, et n’attend pas qu’on lui rende la monnaie. Dans les films médiévaux, ce sera une bourse contenant le montant exact et ladite bourse sera offerte par la même occasion. Le personnage porte maintenant une valise vide. Il entre dans un bistrot, où il va directement à une table où l’attend une femme. Ils commandent à boire et s’en vont aussitôt que les boissons leur sont apportées. A nouveau, on laisse un billet ou quelques pièces sur la table, le montant exact, sans doute.

Ils vont chez la femme et font l’amour, debout dans la cuisine ou ailleurs, mais tout habillés et en coup de vent, surtout sans préliminaires. La femme confie a) une liasse de lettre reliées par un ruban (franchement : qui fait ça ???) ou b) une mallette contenant des billets de 1000 bien rangés. A ce moment-là, le téléphone sonne, le répondeur s’enclenche tout de suite et tout le monde, spectateurs inclus, entend le message. Ce n’est jamais la maman qui appelle pour demander si tu viens manger dimanche. Il doit partir d’urgence avec a) la liasse de lettres ou b) la mallette pleine de billets. Les deux personnages se séparent sur le quai d’une gare, ils se font tremper par une pluie diluvienne, mais peu importe, ils s’embrassent langoureusement. La femme dira peut-être I love you Daddy, figure obligée de tout film américain.

Décor de western à Almeria (1982)
Plus tard, ailleurs : deux personnages jouent aux échecs. Après deux ou trois échanges de répliques, l’un des deux joueurs dira : échec et mat. Ça ne rate jamais, je n’ai encore jamais vu de film où une partie d’échecs resterait inachevée. L’écrivain a été fait prisonnier, il est ligoté sur une chaise. Au lieu de l’abattre illico, le méchant lui explique par le menu toute l’intrigue, permettant ainsi au spectateur de comprendre comment fonctionnait le réseau de contrebande et comment les microfilms (tiens, voilà quelque chose qui a disparu de nos jours !) étaient dissimulés dans des dents creuses. Ce qui laisse le temps à notre héros de se défaire de ses liens, précisément une seconde avant que le faisceau de bâtons de dynamite n’explose ! Car nous avons pu suivre le défilement impitoyable du compte à rebours sur un chronomètre numérique.

Et cætera…. Vous avez sûrement, vous aussi, un téléphone sur votre table de chevet, pour les occasions où il sonne au milieu de la nuit, juste après votre orgasme. Aux Etats-Unis, ils n’ont toujours pas inventé les sacs de courses qui auraient des anses, non, ce seront toujours des sacs en papier kraft, toujours au nombre de deux et pleins à craquer, qui vous remplissent les mains et vous rendent complètement handicapé. Dans les films jusqu'aux années -60, quand un homme et une femme se détestent au début du film, on peut être relativement certain qu’ils vont tomber amoureux l’un de l’autre. Le héros peut recevoir 250 balles et rester en vie, à peine égratigné, à peine décoiffé. Dans les postes de police ou les bureaux de presse, on explique la mission à accomplir en marchant à toute berzingue dans des corridors bondés. 
Le Magnifique de Philippe de Broca (1973)
Un livre qui répertorie tous ces clichés est paru récemment 1). Des films comme le Magnifique, avec Belmondo, ou les parodies de OSS 117, avec Jean Dujardin, surfent avec délices sur tous ces lieux communs cinématographiques, de même que Woody Allen ne se prive pas de nous livrer un Paris, une Barcelone ou une Rome en forme d’image d’Epinal. Mais c’est bien pour cela qu’on va au cinéma : pour rêver et pour qu’on nous raconte des calembredaines ! Car la réalité vraie de la vie, on l’a tous les jours dans sa cuisine ou au bureau, c’est bien suffisant.


1)      Tous les clichés du cinéma : Répertoire malicieux des poncifs et invraisemblances du 7e Art, par Philippe Mignaval. Editions Fetjaine, 2012, ISBN-10: 2354253338