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jeudi 24 août 2017

Un atelier d’écriture à Marsanne



Lâchez-vous!
Ayant décidé de faire quelque chose de différent pendant mes vacances, quelque chose de constructif et de créatif, j’ai choisi, presque sur un coup de tête, de participer à un atelier d’écriture qui allait se dérouler à Marsanne, dans la Drôme. Je n’avais pas besoin de partir trop loin, ni trop longtemps, c’était parfait. J’aime écrire et l’encadrement de l’animateur, additionné à l’émulation du groupe ne pouvait que me faire du bien et relancer mes désirs d’écriture qui étaient un peu tombés en panne. Les obligations de la vie m’obligeant à me disperser, je n’arrivais plus à me centrer en moi-même, à me concentrer. Cet atelier à Marsanne m’a non seulement permis de retrouver le plaisir du texte, mais il m’a donné de nouvelles idées et de nouveaux élans : me voilà repartie avec de bonnes résolutions pour une meilleure hygiène de vie intellectuelle, pourvu que ça dure !

La source miraculeuse
L’atelier se déroulait au Centre spirituel de Fresneau, sur les hauts de Marsanne. Il s’agit d’un lieu de pèlerinage car un miracle s’y est déroulé : une fillette aveugle a retrouvé la vue grâce à la Vierge Marie qui lui est apparue et qui lui a dit de boire l’eau de la source. Son père a fait construire une petite chapelle pour remercier la Madonne. La source existe toujours, c’est une fontaine d’où coule une eau d’une pureté parfaite. Du matin au soir, des gens viennent y remplir des bouteilles et des jerricans – les participants à l’atelier aussi !

Nous étions onze participantes*), dix femmes et un homme, de 17 à 71 ans. Avant d’entamer la journée de travail, nous faisions de petits exercices de qi gong ou de taï chi sur la terrasse pour nous mettre en état de concentration méditative. Chacun à son tour proposait un mouvement qui lui revenait à l’esprit, ce qui contribuait également à créer une belle cohésion dans le groupe.


Nous avons commencé par de petits exercices simples pour faire connaissance et pour permettre à l’esprit de se débloquer, de se mettre en mode Ecriture, qui est un mode de fonctionnement très différent. On doit vraiment puiser à l’intérieur de soi en s’arrêtant pour écouter ses émotions, ses pensées, au lieu de foncer la tête baissée comme on le fait trop souvent. Il fallait tout d’abord coucher sur le papier des choses telles que : « J’aime / je n’aime pas…. Ecrire, pour moi, c’est…. Lire, pour moi, c’est….. » Il fallait le faire assez rapidement, de sorte à ne pas avoir trop le temps de réfléchir. D’ailleurs, tous les textes au cours de la semaine ont été écrits dans un élan spontané, afin que cela sorte du cœur et des tripes, évitant ainsi des choses trop cérébrales et contraintes, qui auraient forcément été indigestes. Chacune lit ensuite ce qu’elle a écrit. Il était strictement interdit de commencer par se justifier en expliquant pourquoi on n’a pas réussi à écrire quelque chose digne du Prix Goncourt….. ça n’intéresse personne ! On lit, les autres écoutent, l’animateur donne un feedback, les participantes peuvent aussi réagir, mais toujours dans la bienveillance. La critique négative ne sert à rien et ce n’est vraiment pas le but de l’exercice. D’ailleurs, elle n’aurait pas eu lieu d’être, les textes étaient toujours une découverte intéressante et amusante, car, qu’on le veuille ou non, celle qui manie la plume se dévoile forcément.
 
La maison de l'écriture
Il fallait généralement écrire avec une contrainte et un temps limité, ça évite de rechercher la perfection stérile. La contrainte pouvait être un thème imposé (p.ex. les pieds), une liste de mots choisis au hasard par la voisine, un incipit, un souvenir de voyage….. Il était amusant de voir toute la palette, la variété de versions différentes, étant donné que chacune interprétait les mots ou la consigne à sa façon. Les unes se lançaient dans un poème ou une liste, d’autres écrivaient une lettre à l’être aimé, c’était parfois lyrique ou concret, amoureux, historique, amusant….. Nous avons également découvert les haïkus, dans le but de comprendre la beauté de la concision. Less is more, comme le disent les anglo-saxons. C’est même devenu un fil conducteur, un leitmotiv tout au long de la semaine. 

Le rythme de travail était soutenu, à tel point que je sentais mon cerveau bourdonner à la fin de la journée. J’avais un appétit d’ogre, l’effort intellectuel consommant visiblement beaucoup d’énergie. Les repas étaient simples, mais délicieux et très sains. Manger en bonne compagnie est un vrai plaisir, surtout quand ça se passe dehors, l’été, dans un lieu accueillant et imprégné de spiritualité.

Notre groupe a été une rencontre très réussie de vies et de styles différents. Chacune y a apporté sa contribution, son aura personnelle, son énergie, son vécu, ses émotions et son style de narration et d’écriture. Chacune a pu s’exprimer en toute liberté, à l’abri de tout jugement, le but de la semaine n’étant ni la productivité ni un résultat matériel, concret. Tous les styles étaient autorisés et encouragés. On écrivait pour être écoutées des autres, mais on écrivait aussi pour soi : on doit pouvoir se reconnaître dans son texte, en écrivant avec son cœur et non pas avec son cerveau. Il est amusant de constater que l’écriture se déroule quasiment d’elle-même, il suffit d’avoir un point de départ. J’étais souvent étonnée de trouver un cheminement et une chute que je n’attendais pas forcément. C’est comme si le texte réclamait que je le découvre, il était là depuis toujours.

Nous avons toutes été transformées par cette semaine magique. Ne reste plus qu’à garder vivant cet esprit d’écoute et de perception au monde qui nous entoure, dans un esprit positif et constructif. Et y retourner l’année prochaine, pourquoi pas …. ?

*) à dix contre un, le masculin ne l’emportera pas !



* * * * *
Le haïku de l’ascenseur, par Béatrice :

Ouverture des portes
Chanson lassante
L’aveugle passe

* * * * *

Charles Juliet - Pourquoi écrire ?
Ecrire pour obéir au besoin que j’en ai.
Ecrire pour apprendre à écrire. Apprendre à parler.
Ecrire pour ne plus avoir peur.
Ecrire pour panser mes blessures. Ne pas rester prisonnier de ce qui a fracturé mon enfance.
Ecrire pour ne pas vivre dans l’ignorance.
Ecrire pour surmonter mes inhibitions, me dégager de mes entraves.
Ecrire pour déraciner la haine de soi. Apprendre à m’estimer.
Ecrire pour déterrer ma voix.
Ecrire pour me parcourir, me découvrir. Me révéler à moi-même.
Ecrire pour épurer mon œil de ce qui conditionnait sa vision.
Ecrire pour me clarifier, me mettre en ordre, m’unifier.
Ecrire pour conquérir ce qui m’a été donné.
Ecrire pour gravir la pente qui mène à la simplicité.
Ecrire pour tenter de réduire, de dissoudre le moi.
Ecrire pour devenir plus conscient de ce que je suis, de ce que je vis.
Ecrire pour affiner et aiguiser mes perceptions.
Ecrire pour savourer ce qui m’est offert. Pour tirer le suc de ce que je vis.
Ecrire pour repousser mes limites, agrandir mon espace intérieur, me rendre toujours plus libre.
Ecrire pour soustraire des instants de vie à l’érosion du temps.
Ecrire pour retrouver – par-delà la lucidité conquise – une naïveté, une spontanéité, une transparence.
Ecrire pour produire la lumière dont j’ai besoin.
Ecrire pour tenter de voir plus loin que mon regard ne porte.
Ecrire pour donner du sens à ma vie. Pour éviter qu’elle ne demeure comme une terre en friche.
Ecrire pour susciter cette mutation qui me fera naître une seconde fois.
Ecrire pour m’inventer, me créer, me faire exister.
Ecrire pour m’employer à devenir meilleur que je ne suis.
Ecrire pour faire droit à l’instance morale qui m’habite.
Ecrire pour affirmer certaines valeurs face aux égarements d’une société malade.
Ecrire pour être moins seul. Pour parler à mon semblable.
Pour chercher les mots susceptibles de le rejoindre en sa part la plus intime. Des mots qui auront peut-être la chance de la révéler à lui-même.
De l’aider à se connaître et à cheminer.
Ecrire pour mieux vivre. Mieux participer à la vie. Apprendre à mieux aimer.
Ecrire pour que me soient donnés ces instants de félicité où le temps se fracture, et où, enfoui dans la source, j’accède à l’intemporel, l’impérissable, le sans-limite.

Charles Juliet, Lumières d'automne, Journal VI, 1993-1996, P.O.L, 2010, pp. 247-248.
Trouver la source (édition La passe du vent, 2000) 

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