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samedi 29 décembre 2018

Qu’il est dur d’être un homme !

Le Grand Bain de Gilles Lellouche, 2018
Chacun le sait, tout le monde a pu l’observer, les relations hommes-femmes subissent une véritable crise, peut-être même une révolution. Le modèle traditionnel de la famille n’en mène pas large; à cela vient s’ajouter une bonne dose d’individualisme et de narcissisme, exacerbée par les réseaux sociaux et le besoin de paraître. Ceux qui acceptent de jouer à ce jeu s’imposent la pression et l’obligation d’être quelqu’un, d’avoir une vie passionnante, d’être beau et d’avoir du succès, afin de pouvoir ensuite afficher ses photos et selfies sur Instagram ou Facebook. 

Pour les hommes (au sens de sexe masculin), la pression est d’autant plus marquée qu’ils ont, depuis toujours, le besoin d’être le mâle alpha, d’avoir une belle voiture, une Rolex et la jolie jeune femme qui va avec. C’est véritablement le fil conducteur qui parcourt le film Le Grand Bain de Gilles Lellouche [attention: Spoilers !!]. Des hommes dans la quarante-cinquantaine, très ordinaires, très franchouillards, vivant, travaillant et survivant du mieux qu’ils le peuvent quelque part en France banale (le décor n’est ni la Provence, ni la Bretagne, ni la Corse) s’adonnent à la natation synchronisée masculine. Ils sont tous cabossés par la vie, dépression, vie familiale boiteuse, et c’est l’entraînement à cette discipline improbable qui les réunit. Après le bassin, ils se retrouvent au sauna, où chacun s’épanche et dévoile ses faiblesses. N’ayant évidemment jamais pu être une mouche sur le mur pendant ce genre de réunion masculine, il m’est impossible de savoir si c’est vraisemblable - on dira que ça l’est, aux fins du scénario. Le plus cocasse est d’imaginer qu’ils acceptent de se soumettre à un entraîneur femme (c’est à dessein que je ne dis pas entraîneuse ;-)) d’abord Virginie Efira, suivie de Leila Bekhti, qui les mène littéralement à la baguette avec toute la douceur d’un US Marine. Elle les engueule et leur donne des coups de cravache, mais ils se soumettent et lui obéissent. Nous sommes bien dans une oeuvre de fiction ! Tous ces hommes subissent les railleries de leur entourage, parce qu’ils suivent une activité de tapettes - voilà encore une des nombreuses contraintes que subissent nos pauvres hommes, l’obligation d’être un macho et l’interdiction absolue de s’approcher de tout ce qui n’est pas foot-bagnole-violence. Les personnages du film sont d’ailleurs parcourus en permanence par le besoin de revanche, les affrontements d’egos, les mots et les gestes violents, à quoi viennent s’ajouter la nécessité de réussir et d’avoir un emploi valorisant. 

Leila Bekhti et Philippe Katerine
Ce qui est frappant dans ce film, c’est que la souffrance de chacun des personnages vient de leur incapacité à avouer leurs points faibles, à montrer une part de douceur ou de tendresse, à reconnaître leurs erreurs, à aimer leur femme et leurs enfants au lieu de se préoccuper de leur image et de leur réussite. Bref, leur refus d’accepter leur part de féminité. Etre plus fort que son voisin ou son collègue semble être le maître mot. C’est exactement ce qui se passe entre Poutine, Trump et Kim Jong-un (qui a le même âge que Leila Bekhti, il serait intéressant de comparer leurs horoscopes) : c’est à qui aura la plus grosse fusée, à qui pissera le plus loin, grâce à ses missiles hypersoniques. Si seulement toute cette énergie et tout cet argent pouvaient servir à nourrir la planète et à éduquer les masses, le monde serait bien différent. Et que se passe-t-il, une fois qu’on est le plus grand et le plus fort de tout l’univers? On a peur d’être détrôné….. C’est un cycle sans fin, qui ne peut déboucher que sur du malheur.

Deux personnages semblent échapper à cette torture permanente, c’est Philippe Katerine,  qui joue une sorte de gros benêt et Balasingham Thamilchelvan, un Sri Lankais sorti on ne sait d’où, qui baragouine dans une drôle de langue que personne ne comprend; ils sont d’ailleurs toujours d’accord avec lui. Les personnages féminins portent aussi leur croix (« ton mari est plus minable que le mien »), entre Delphine, qui est une alcoolique au cœur brisé et Amanda, qui est paraplégique, mais néanmoins la plus forte de tous. Le film raconte, sous forme de sketches, la vie et le destin des différents personnages, qui sont pitoyables, chacun à sa façon.

Stockholm Art Swim Gents
A noter que la natation synchronisée est une discipline très exigeante et complexe, qui demande une très grande force cardio-respiratoire, ainsi qu'une grande énergie musculaire. Les athlètes doivent être souples, puissants, créatifs et endurants. Cette discipline demande de la concentration pour suivre le rythme musical, se déplacer et se repérer en trois dimensions dans l'eau. Proche de la danse, la natation synchronisée doit faire preuve de grâce, d'élégance, de beauté et de souplesse mais aussi de tonicité, selon Wikipedia. Et malgré cela, ça passe pour un amusement pour pédés, si d’aventure des hommes se lanceraient. Ce sport est essentiellement féminin, mais commence à s’ouvrir au sexe dit fort, avec notamment des binômes mixtes, un peu comme au patinage artistique. C’est une discipline olympique depuis 1984.



Post scriptum avec spoiler : ce film suit l’intrigue classique d’un projet fou, voué à l’échec et qui aboutit pourtant. Cette bande de losers gras du bide obtient la médaille d’or aux championnats du monde en Norvège. La morale de l’histoire est alors que pour retrouver l’amour de sa femme et l’estime de sa fille, il faut au moins une médaille d’or. C’est un peu dommage. J’aurais préféré qu’on dise aux hommes qu’il suffirait d’être un peu moins brutal et avoir un peu plus d’empathie, d’humilité, d’ouverture envers son prochain pour être quelqu’un de bien. Ne pas être constamment fauché, bourré ou paresseux est un atout. Ils auraient pu revenir bredouilles de Norvège, mais en ayant noué des liens d’amitié et en ayant enrichi leur vie d’une expérience inoubliable. 

Swimming With Men de Oliver Parker, 2018

Post Post Scriptum : Amusant: les Britanniques ont sorti un film identique, intitulé Swimming with Men (voir ICI), sorti de façon quasiment synchrone avec Le Grand Bain. Cette coïncidence s’explique par le fait que les Suédois (who else ?) ont décidé de relancer ce sport pour les hommes, avec le Stockholm Art Swim Gents, ce qui a donné lieu au tout premier film du genre, en 2008, Allt Flyter ou The Swimsuit Issue en anglais. Il y a également Men Who Swim, un film britannico-suédois sorti en 2010. A croire que ça va devenir une catégorie cinématographique, comme le western ou la comédie musicale. A noter également que cela semble être le remède aux crises existentielles qui frappent autour de la cinquantaine. A bon entendeur !


La natation synchronisée masculine existe-t-elle vraiment ?  ICI


Un nouveau souffle de Karl Marcovics, cinéaste autrichien. Toutefois, il n'y est pas question de natation synchronisée. 


dimanche 16 décembre 2018

Echapper à un attentat


Pont du Corbeau, Strasbourg
Alors ca y est, le terrorisme islamiste a de nouveau frappé. Et moi qui me disais justement que cela faisait longtemps…. Pour la première fois, j’étais présente dans la ville où ça s’est passé, Strasbourg. La session parlementaire, le marché de Noël, la routine, quoi. On y pense et puis, on oublie. Pour pénétrer au centre ville, il fallait passer devant les gardes vigipirate, mais leurs contrôles étaient assez superficiels, il suffisait d’ouvrir son sac; sans doute qu’eux aussi pensaient que le danger appartenait dorénavant au passé. Et pourtant…. on pouvait fort bien se rendre au marché de Noël avec un pistolet et un couteau dans ses poches. Ou une ceinture d’explosifs.


Le mardi 11 décembre 2018 à 20h, je me trouvais au Parlement européen, à 3km du centre ville, où des coups de feu avaient éclaté. Les gardes ne laissaient plus personne sortir. On ne savait pas ce qui se passait. Un attentat? Un règlement de compte? Des pétards? Il a bien fallu attendre environ une demi-heure avant que les sites d’information ne commencent à nous éclairer. Tout d’abord, il n’était question que de coups de feu dans le centre historique. Avec mon collègue, nous nous sommes dit qu’il valait mieux aller manger, puisqu’on ne pouvait pas savoir combien de temps cela allait durer - et nous avons bien fait, car la cafétéria a immédiatement été prise d’assaut, tout le monde s’étant fait la même réflexion.

Puis, l’attente s’est installée…. Petit à petit, des informations commençaient à filtrer, minuit, une heure du matin….. L’auteur des faits a été identifié très rapidement, grâce aux caméras de surveillance. Il faut dire que l’individu était très bien connu - et défavorablement - des services de police, ayant 27 condamnations à son actif. Mais comme il demeurait introuvable, la nuit de confinement s’annonçait longue.

Les écrans, un peu partout au Parlement, qui servent à présenter le déroulement de la séance plénière, n’ont pas servi à nous tenir au courant de la situation. Une séance d’information a été organisée dans l’hémicycle, mais comment le savoir? Nous avons reçu un mail nous demandant d’annoncer si nous étions en vie et en sécurité. A noter que c’est le service du recrutement qui nous a écrit, ils voulaient sans doute savoir s’il y aurait des morts ou des blessés à remplacer. A l’époque des SMS et de la WiFi omniprésente, il est tout de même surprenant que l’info ait circulé aussi parcimonieusement. Sans doute que le Parlement n’a pas mis au point de scénario à suivre en cas de situation de crise. 


Je consultais internet toutes les cinq minutes, mais le flou demeurait: un tireur en cavale au centre-ville, le nombre de morts a fluctué pendant 24 heures. C’est alors qu’on se rend compte que, dans le feu de l’action, il est très difficile d’affirmer quoi que ce soit. On ne savait même pas si c’était le scénario terroriste dorénavant bien rôdé ou si c’était simplement un détraqué. Certaines personnes sont restées bloquées dehors, en pleine nuit, les barrages de police les empêchant de regagner leur domicile ou de rejoindre leur hôtel. Nous avions encore de la chance d’être au chaud et à l’abri au Parlement européen. 


J’ai su que l’alerte était levée quand j’ai vu des gens commencer à mettre leur manteau. Il était alors 2h10 du matin. Certains optimistes ont commencé à attendre des taxis, heureusement que j’avais mon vélo de location. Nous avons appris le lendemain que les députés ont été raccompagnés à leur hôtel (en car ou en voiture), mais le menu fretin a été lâché dans la ville, où se terrait un tueur fou. A chacun de se débrouiller et certains sont rentrés à pied, à 2h du matin, dans le froid et la nuit. Le lendemain, on travaillait normalement, comme si rien ne s’était passé.
Marché de Noël: fermé

Le lendemain, la vie a repris son cours, sauf que quelque chose planait dans l’air. Tout le monde parlait de ce qui s’était passé la veille. Le marché de Noël était fermé et le resterait encore un jour de plus. Les informations commençaient à être un peu plus précises et cohérentes, confirmant un déroulement dorénavant classique: l’auteur des coups de feu et de couteau (bilan à l’heure actuelle: 4 morts et 12 blessés) était un jeune français d’origine algérienne, fiché S pour radicalisation islamiste. Des citoyens ordinaires ont tenté de l’arrêter. Ses victimes: un touriste thaïlandais qui n’avait pas prévu de passer par Strasbourg, un retraité de 61 ans, un jeune journaliste italien, un garagiste-mécanicien afghan. Alors quel est le message et l’utilité d’une telle attaque? A part la stupidité la plus profonde? Quel est le coût pour la société d’une telle folie (engagement des forces de l’ordre, sécurité, soins médicaux) ? Et surtout, que faire pour que cela cesse, une bonne fois pour toute?

On peut certes affirmer que « ça n’a rien à voir avec l’islam » et « c’est pas ça l’islam » ou encore « il ne faut pas faire l’amalgame », mais il faut être complètement aveugle et borné pour ne pas voir le point commun entre tous ces attentats qui ciblent des civils innocents qui n’ont aucun rapport avec la choucroute - c’est bien le cas de le dire dans le cas de Strasbourg. En refusant de nommer le mal, à savoir le radicalisme islamique, on ne rend pas service aux musulmans. Ce sont précisément ceux qui crient à l’amalgame qui mettent tous les musulmans dans le même sac. En effet, si une secte catholique se mettait à commettre des attentats, nous serions parfaitement capables de comprendre qu’il s’agit d’une secte et on n’hésiterait pas à la critiquer et à la dénoncer. Force est de constater qu’il ne sert à rien de tourner autour du pot sans désigner la source du problème, puisque les attentats et les attaques se poursuivent.

Un détail étrange dans cette affaire: le terroriste a utilisé une arme de collection, un revolver d’ordonnance de la fin du XIXème siècle, un modèle qui a servi pendant la Première guerre mondiale. C’est néanmoins une arme interdite à la vente et soumise à autorisation. 

Le message des services d'interprétation

Ce mardi soir, le 11 décembre, ma réunion s’est terminée à 20h. Mon collègue a proposé que nous allions boire un verre, ce que nous avons fait. Mais sans cette providentielle coupe de crémant d’Alsace, j’aurais sans doute eu le temps de sortir du bâtiment. Et alors….. ? Il est peu probable que je me sois trouvée au centre ville, car les barrages de police étaient sans doute déjà en place. Mais je serais peut-être restée en rade dehors, dans la nuit, le froid, le ventre vide de surcroît. Comme quoi, les voies du destin, qui a choisi, cette nuit-là, de laisser mourir un touriste thaïlandais et un garagiste afghan, sont bien mystérieuses. 


Hommage aux victimes, le dimanche 16 décembre 2018 ICI


Mise à jour: une 5ème victime vient de décéder: il s'agit d'un Polonais de 36 ans, Bartek Pedro Orent-Niedzielski, qui vivait à Strasbourg depuis 36 ans. Il était responsable d'animations au sein d'un festival européen de bande dessinée, il voulait fonder une "auberge linguistique", il était passionné de langues et de cultures. Il était en compagnie du journaliste italien, tous deux sont morts.


A la différence des précédents attentats, on donne cette fois-ci l’identité, l’âge, et la nationalité des victimes, sans doute parce qu’elles sont moins nombreuses. En tout cas, si le terroriste voulait frapper des Français, c’est un peu raté. Il a même réussi à éliminer un coreligionnaire.


Un mois plus tard, place Kléber. Combien de fois encore faudra-t-il décorer des places de fleurs, de bougies et de photos?


Hommages:


"J'aurais tellement de choses à te dire, Antonio ! Je m'appelle ADINA LAUTARU, je viens de ROUMANIE .... j'étais là, à 3m derrière toi, j'ai vu comme tu t'effondrais sur le coup de feu, j'ai eu le sang glacé quand l'attaquant a pointé ensuite son fusil vers moi et vers une autre femme qui, à cause de l'effroi, a perdu connaissance et s'est évanouie. Je me suis faite si petite et je me suis cachée derrière un pot de fleur en pierre pas plus haut d'un mètre. Le tireur, paniqué par les hurlements des gens parmi lesquels il avait semé la terreur, a emprunté un passage étroit, un "coupe-gorge" qui porte bien son nom, car en prenant ce chemin, ce fou a continué de faire des victimes avec son couteau. Mais, pour moi, c'était la chance de rester en vie! Dans les 5 minutes qui ont suivi, j'ai couru vers vous, toi et l'autre jeune homme qui est tombé aussi sur le coup du tireur ... vous n'étiez pas morts ! Résiste - j'ai crié - reste avec nous, résiste ! Tu as bougé tes lèvres, tu voulais me dire quelque chose mais tu avais du mal, tu n'as pas réussi. Le monde continuait de crier et soudain, j'ai été prise par la panique : et si le tueur revenait ! Alors je t'ai abandonné et j'ai couru me recacher derrière le pot de fleur en pierre. De là, je te regardai, terrifiée, des minutes qui m'ont semblé interminables se sont écoulés. J'ai pris encore le courage de m'avancer vers toi, je t'ai parlé, tu as bougé tes lèvres, tes yeux ouverts regardaient loin. Encore une dizaine deminutes sont passés, la police, les pompiers sont arrivés, ils t'ont pris, ils n'ont pas réussi à te sauver, moi non plus. Tu es parti, à JAMAIS, mais dans ma mémoire et dans mon cœur, tu resteras pour TOUJOURS!



"Bartek, you are one of the most beautiful human being and soul that I've meet, You've always been here for everyone and for me; for the best laugh ever, for the best beer ever and even in the worst scenario you were there. You have one of the biggest heart that I know. I will never ever forget those moments we had together. All of those memories are here forever and nobody will never be able to take them back.
I could let the hate submerge me, but I won't because Bartek would not want that. He is and will ever be for the peace in the world and he is an inspiration for everyone he knows. 
I cannot imagine how difficult this must be for all his nearest family and friends and in this time of grief, It is with the most profound integrity that I am so sorry for what happened to you.

To Bartek,
To his family
To Strasbourg,
To the universal peace,        I love you brother."


jeudi 24 août 2017

Un atelier d’écriture à Marsanne



Lâchez-vous!
Ayant décidé de faire quelque chose de différent pendant mes vacances, quelque chose de constructif et de créatif, j’ai choisi, presque sur un coup de tête, de participer à un atelier d’écriture qui allait se dérouler à Marsanne, dans la Drôme. Je n’avais pas besoin de partir trop loin, ni trop longtemps, c’était parfait. J’aime écrire et l’encadrement de l’animateur, additionné à l’émulation du groupe ne pouvait que me faire du bien et relancer mes désirs d’écriture qui étaient un peu tombés en panne. Les obligations de la vie m’obligeant à me disperser, je n’arrivais plus à me centrer en moi-même, à me concentrer. Cet atelier à Marsanne m’a non seulement permis de retrouver le plaisir du texte, mais il m’a donné de nouvelles idées et de nouveaux élans : me voilà repartie avec de bonnes résolutions pour une meilleure hygiène de vie intellectuelle, pourvu que ça dure !

La source miraculeuse
L’atelier se déroulait au Centre spirituel de Fresneau, sur les hauts de Marsanne. Il s’agit d’un lieu de pèlerinage car un miracle s’y est déroulé : une fillette aveugle a retrouvé la vue grâce à la Vierge Marie qui lui est apparue et qui lui a dit de boire l’eau de la source. Son père a fait construire une petite chapelle pour remercier la Madonne. La source existe toujours, c’est une fontaine d’où coule une eau d’une pureté parfaite. Du matin au soir, des gens viennent y remplir des bouteilles et des jerricans – les participants à l’atelier aussi !

Nous étions onze participantes*), dix femmes et un homme, de 17 à 71 ans. Avant d’entamer la journée de travail, nous faisions de petits exercices de qi gong ou de taï chi sur la terrasse pour nous mettre en état de concentration méditative. Chacun à son tour proposait un mouvement qui lui revenait à l’esprit, ce qui contribuait également à créer une belle cohésion dans le groupe.


Nous avons commencé par de petits exercices simples pour faire connaissance et pour permettre à l’esprit de se débloquer, de se mettre en mode Ecriture, qui est un mode de fonctionnement très différent. On doit vraiment puiser à l’intérieur de soi en s’arrêtant pour écouter ses émotions, ses pensées, au lieu de foncer la tête baissée comme on le fait trop souvent. Il fallait tout d’abord coucher sur le papier des choses telles que : « J’aime / je n’aime pas…. Ecrire, pour moi, c’est…. Lire, pour moi, c’est….. » Il fallait le faire assez rapidement, de sorte à ne pas avoir trop le temps de réfléchir. D’ailleurs, tous les textes au cours de la semaine ont été écrits dans un élan spontané, afin que cela sorte du cœur et des tripes, évitant ainsi des choses trop cérébrales et contraintes, qui auraient forcément été indigestes. Chacune lit ensuite ce qu’elle a écrit. Il était strictement interdit de commencer par se justifier en expliquant pourquoi on n’a pas réussi à écrire quelque chose digne du Prix Goncourt….. ça n’intéresse personne ! On lit, les autres écoutent, l’animateur donne un feedback, les participantes peuvent aussi réagir, mais toujours dans la bienveillance. La critique négative ne sert à rien et ce n’est vraiment pas le but de l’exercice. D’ailleurs, elle n’aurait pas eu lieu d’être, les textes étaient toujours une découverte intéressante et amusante, car, qu’on le veuille ou non, celle qui manie la plume se dévoile forcément.
 
La maison de l'écriture
Il fallait généralement écrire avec une contrainte et un temps limité, ça évite de rechercher la perfection stérile. La contrainte pouvait être un thème imposé (p.ex. les pieds), une liste de mots choisis au hasard par la voisine, un incipit, un souvenir de voyage….. Il était amusant de voir toute la palette, la variété de versions différentes, étant donné que chacune interprétait les mots ou la consigne à sa façon. Les unes se lançaient dans un poème ou une liste, d’autres écrivaient une lettre à l’être aimé, c’était parfois lyrique ou concret, amoureux, historique, amusant….. Nous avons également découvert les haïkus, dans le but de comprendre la beauté de la concision. Less is more, comme le disent les anglo-saxons. C’est même devenu un fil conducteur, un leitmotiv tout au long de la semaine. 

Le rythme de travail était soutenu, à tel point que je sentais mon cerveau bourdonner à la fin de la journée. J’avais un appétit d’ogre, l’effort intellectuel consommant visiblement beaucoup d’énergie. Les repas étaient simples, mais délicieux et très sains. Manger en bonne compagnie est un vrai plaisir, surtout quand ça se passe dehors, l’été, dans un lieu accueillant et imprégné de spiritualité.

Notre groupe a été une rencontre très réussie de vies et de styles différents. Chacune y a apporté sa contribution, son aura personnelle, son énergie, son vécu, ses émotions et son style de narration et d’écriture. Chacune a pu s’exprimer en toute liberté, à l’abri de tout jugement, le but de la semaine n’étant ni la productivité ni un résultat matériel, concret. Tous les styles étaient autorisés et encouragés. On écrivait pour être écoutées des autres, mais on écrivait aussi pour soi : on doit pouvoir se reconnaître dans son texte, en écrivant avec son cœur et non pas avec son cerveau. Il est amusant de constater que l’écriture se déroule quasiment d’elle-même, il suffit d’avoir un point de départ. J’étais souvent étonnée de trouver un cheminement et une chute que je n’attendais pas forcément. C’est comme si le texte réclamait que je le découvre, il était là depuis toujours.

Nous avons toutes été transformées par cette semaine magique. Ne reste plus qu’à garder vivant cet esprit d’écoute et de perception au monde qui nous entoure, dans un esprit positif et constructif. Et y retourner l’année prochaine, pourquoi pas …. ?

*) à dix contre un, le masculin ne l’emportera pas !



* * * * *
Le haïku de l’ascenseur, par Béatrice :

Ouverture des portes
Chanson lassante
L’aveugle passe

* * * * *

Charles Juliet - Pourquoi écrire ?
Ecrire pour obéir au besoin que j’en ai.
Ecrire pour apprendre à écrire. Apprendre à parler.
Ecrire pour ne plus avoir peur.
Ecrire pour panser mes blessures. Ne pas rester prisonnier de ce qui a fracturé mon enfance.
Ecrire pour ne pas vivre dans l’ignorance.
Ecrire pour surmonter mes inhibitions, me dégager de mes entraves.
Ecrire pour déraciner la haine de soi. Apprendre à m’estimer.
Ecrire pour déterrer ma voix.
Ecrire pour me parcourir, me découvrir. Me révéler à moi-même.
Ecrire pour épurer mon œil de ce qui conditionnait sa vision.
Ecrire pour me clarifier, me mettre en ordre, m’unifier.
Ecrire pour conquérir ce qui m’a été donné.
Ecrire pour gravir la pente qui mène à la simplicité.
Ecrire pour tenter de réduire, de dissoudre le moi.
Ecrire pour devenir plus conscient de ce que je suis, de ce que je vis.
Ecrire pour affiner et aiguiser mes perceptions.
Ecrire pour savourer ce qui m’est offert. Pour tirer le suc de ce que je vis.
Ecrire pour repousser mes limites, agrandir mon espace intérieur, me rendre toujours plus libre.
Ecrire pour soustraire des instants de vie à l’érosion du temps.
Ecrire pour retrouver – par-delà la lucidité conquise – une naïveté, une spontanéité, une transparence.
Ecrire pour produire la lumière dont j’ai besoin.
Ecrire pour tenter de voir plus loin que mon regard ne porte.
Ecrire pour donner du sens à ma vie. Pour éviter qu’elle ne demeure comme une terre en friche.
Ecrire pour susciter cette mutation qui me fera naître une seconde fois.
Ecrire pour m’inventer, me créer, me faire exister.
Ecrire pour m’employer à devenir meilleur que je ne suis.
Ecrire pour faire droit à l’instance morale qui m’habite.
Ecrire pour affirmer certaines valeurs face aux égarements d’une société malade.
Ecrire pour être moins seul. Pour parler à mon semblable.
Pour chercher les mots susceptibles de le rejoindre en sa part la plus intime. Des mots qui auront peut-être la chance de la révéler à lui-même.
De l’aider à se connaître et à cheminer.
Ecrire pour mieux vivre. Mieux participer à la vie. Apprendre à mieux aimer.
Ecrire pour que me soient donnés ces instants de félicité où le temps se fracture, et où, enfoui dans la source, j’accède à l’intemporel, l’impérissable, le sans-limite.

Charles Juliet, Lumières d'automne, Journal VI, 1993-1996, P.O.L, 2010, pp. 247-248.
Trouver la source (édition La passe du vent, 2000)