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jeudi 25 février 2021

La reine Christine de Suède (1626-1689)

La reine Christine par Sébastien Bourdon  (1616-1671)

Depuis la nuit des temps, les femmes ont été confinées au rôle d’épouses et de mères, priées de ne pas faire de vagues, de ne pas faire de bruit et, surtout, de ne pas se faire remarquer. Certaines femmes sont très heureuses dans ce corset social qui leur est réservé, mais toutes ne trouvent pas leur bonheur dans un moule aussi rigide. De nombreuses femmes ont vu leur talent et leur génie étouffé par les convenances sociales. Pour une Marie Curie, combien d’Alma Mahler, combien de Fanny Mendelssohn ou de Mileva Einstein?  


Il y a pourtant eu une femme extraordinaire qui a non seulement refusé de se plier à l’obligation de se comporter comme une dame, mais qui a également refusé les contraintes liées à son sang royal. Dès sa naissance, Christine de Suède a fait croire à tout le monde qu’elle était un garçon, étant née très poilue et d’un sexe ambigu. La généalogie royale n’attend que des héritiers mâles et la cour de Suède avait besoin d’un garçon, mais voilà…. à y regarder de plus près, c’était bien une fille. Le trône ayant besoin d’un successeur, suite au décès du roi sur le champ de bataille lors de la guerre de Trente Ans, Christine est devenue reine à l’âge de six ans.


Christine de Suède est certes née fille, mais a elle été élevée comme un garçon. Elle a été formée à l’art de gouverner, elle a appris à monter à cheval et à manier l’épée. Elle était hautement intelligente, elle s’intéressait à l’art, à la littérature et aux sciences. A l’âge de vingt ans, elle maîtrisait le latin, le français, l’allemand et le néerlandais, auxquels elle a encore ajouté le grec ancien, l’italien et l’espagnol, ainsi que des rudiments d’hébreu et d’arabe. Elle recevait aussi un enseignement en théologie et en philosophie. Elle n’était pas une femme ordinaire, loin de là. Non seulement elle se conduisait de façon masculine, mais elle cherchait à éliminer toute féminité dans son habillement. Elle disait préférer la compagnie des hommes, non pas parce qu’ils sont des hommes, mais parce qu’ils ne sont pas des femmes. 


La reine Christine conversant avec René Descartes (Nils Forsberg d'après Dumesnil) 

La reine invitait de beaux esprits à sa cour, parmi lesquels René Descartes, avec qui elle voulait débattre de l’âme, de l’esprit et de leur rapport à notre corps. Le malheureux Descartes est mort à Stockholm peu de temps après son arrivée, probablement d’une inflammation pulmonaire. Après avoir été enterré dans un cimetière pour non-protestants, sa dépouille a été rapatriée en France, mais sans son crâne…. Mais c’est une autre histoire.


Le rôle de tout monarque est d’être à la tête d’un royaume, de guerroyer, mais aussi de donner un héritier au trône. Toutefois, la reine Christine refusait de se marier. On la disait très libertine, vivant ses passions avec des amants des deux sexes. Lasse de devoir subir de telles pressions, refusant de renoncer à sa liberté en se pliant au joug du mariage, elle finit par désigner son cousin Charles-Gustave prince-héritier. Enfin, dégoûtée du pouvoir, elle finira par abdiquer en 1654 à l’âge de 28 ans et se convertira au catholicisme.


Après un long périple à travers l’Europe, elle s’établira à Rome en 1655. Elle y mènera une vie consacrée aux sciences, aux arts et aux lettres. Elle y terminera sa vie et sa tombe côtoie celles de papes à la basilique Saint-Pierre de Rome. Grâce à son statut de reine, née dans un pays sans doute déjà très tolérant et favorable à l’égalité des sexes, elle a pu vivre selon son tempérament vif et fougueux et n’a pas eu besoin d’étouffer son intelligence afin de paraître normale et de mener la vie conventionnelle réservée aux femmes. 

Greta Garbo in Queen Christina
A ce propos, il est intéressant de constater que le film qui a été tourné en 1933 aux Etats-Unis par Rouben Mamoulian relate de façon relativement fidèle le parcours de vie très romanesque de la reine Christine, incarnée par Greta Garbo. Sauf …. sauf …. qu’au cinéma, c’est évidemment l’Amour qui est le motif principal de l’abdication de la reine. Elle tombe amoureuse de l’émissaire du roi d’Espagne, avec qui elle converse de Velazquez et de Calderón. Elle renonce au trône, car le peuple n’accepte pas que la reine fréquente un étranger, l’héritier de la cour devant être de sang suédois. Elle choisit la liberté, mais les rigueurs du romantisme veulent que l’homme à qui elle a donné son cœur et sa vie meure dans ses bras, des suites d’un duel. 

John Gilbert jouant Don Antonio
On pourrait se demander comment Christine aurait vécu, si elle était née au XXème siècle ? Serait-elle une égérie des mouvements LGBTQI ? Serait-elle le fer de lance d’une grève pour le climat ? Serait-elle prix Nobel ou auteur à succès ? Tout ce que je souhaite, c’est que les Christines de ce monde puissent dorénavant pleinement déployer leurs ailes, développer leurs talents et laisser libre cours à leurs passions, même si cela signifie déranger en étant différentes.


Voir le documentaire Secrets d’Histoire, avec Stéphane Bern, sur Daily Motion

https://www.dailymotion.com/video/xsotz3  


La scène finale du film


Un documentaire sur la reine Christine



dimanche 10 mai 2020

Svenskan och jag - Le suédois et moi

Vous trouverez la traduction en française en alternance avec le texte en suédois

Start learning Swedish from scratch - MySwedish - Medium

Svenska är dett sista språket jag lärde mig och med tanke på min ålder blir det sannolikt verkligen det sista. Emellertid har svenska funnits vid min sida hela mitt liv även om jag inte varit medveten av detta. Som finsk har jag alltid sett svenska ord omkring mig som Tryck eller Drag på affärsdörren eller Bio - vilket är ett utmärkt ord för en plats som berättar om människors liv. Min mor använde några uttryck som just lagom, tänka på, vänta lite eller ska vi gå och Hej då ! som jag förstod som barn gör det ...
Le suédois est la dernière langue que j’aie apprise et, compte tenu de mon âge, ce sera sans doute vraiment la dernière. Toutefois, le suédois m’a accompagnée tout au long de ma vie, même si je n’en n’ai pas vraiment été consciente. En tant que Finlandaise, j’ai toujours vu et lu des mots suédois autour de moi, comme par exemple tryck [poussez] ou drag [tirez] sur les portes des magasins ou encore Bio [cinéma], qui est un mot juste parfait pour décrire un lieu où on raconte la vie des gens. Ma mère utilisait fréquemment des tournures telles que just lagom [juste bien, ni trop ni trop peu], tänka på [il faudrait y réfléchir], vänta lite [attends un peu], ska vi gå [on y va ?] ou encore hej då ! [ciao !] - et je comprenais, avec cette facilité naturelle qu’ont les enfants.
swedish alphabet" Metal Print by UnderwaterSky | Redbubble
Je ne sais pas

I Helsinki finns tvåspråkiga gatuskyltar. Eftersom jag alltid har varit nyfiken har jag också alltid läst de svenska namnen och funderat över deras betydelse, t.ex. Sjömansgata eller Salutorget. Ny då jag lär mig svenska förstår jag hur många finska ord som kommer från vårt grannland. Till exempel torg vilket blir tori på finska där det betyder en plats men också marknaden, dvs vad som händer på platsen. Korg blir kori, skylt blir kyltti (finska språket kan inte uttala två konsonanter i början av orden), läxor heter läksyt på finska. Finländerna säger också att de tycker om kanelbullar (tykkään) och att de tycker att de är goda, men de gör inte skillnaden med en preposition. Finländerna upptäckte jämställdhet före alla andra länder med hen subjekten : på finska säger man bara hän för han eller hon och jag har det väldigt svårt att minnas att det inte är så på svenska.


GATUSKYLTAR, 2 st, emaljerad metall, Finland 1900-talets mitt ...A Helsinki, les panneaux de rues sont écrits dans les deux langues, finnois et suédois. Vu ma curiosité, j’ai toujours lu et cherché à comprendre ce qui était écrit en suédois, par exemple Sjömansgata [rue du marin] ou Salutorget [place du marché]. Depuis que j’étudie le suédois, je découvre tous les mots finnois qui dérivent de cette langue. Prenons torg, qui devient tori en finnois; en suédois, ce mot ne désigne qu’une place publique dans une ville ou un village, alors qu’en finnois, il signifie aussi le marché proprement dit, le lieu où on achète des fruits et légumes. Korg devient kori [panier], skylt devient kyltti [panneau] (en finnois, on ne peut pas prononcer deux consonnes au début d’un mot), läxor devient läksyt [devoirs à domicile]. Les Finlandais disent aussi qu’ils tykkää [aiment] les kanelbullar [pâtisserie typique], qu’ils tykkää [avoir un avis] qu’ils sont délicieux, mais ne font pas la distinction entre les deux acceptions au moyen d’une préposition [att tyckä om]. Les suédois ont inventé de toutes pièces un pronom au « genre neutre », à savoir hen (ni han ni hon), mais les Finlandais ont dépassé tout le monde dans ce rayon, puisqu’ils n’ont, depuis toujours, qu’un seul pronom unisexe : hän. Je comprends maintenant pourquoi j’ai tant de peine à me rappeler de faire la distinction han/hon quand je parle suédois. 

Många slangord på finska kommer från svenska, men också ganska vardagliga ord, som skruvmejsel som blir ruuvimeisseli, eller svartsjuk som blir musta-(svart)-sukkainen-(med sockor) ..... därför att sjuk blev missförstått och det bara blev ljudet. Hela mitt liv har jag undrat varför man på finska har svarta sockor på sig när man är svartsjuk (mustasukkainen) !
De nombreux mots d’argot en finnois viennent tout droit du suédois, tout comme des termes tout à fait quotidiens, tels que skruvmejsel [tournevis] qui devient ruuvimeisseli ou encore svartsjuk [jaloux], qui par le détour d’un malentendu phonétique est devenu mustasukkainen [svart = musta =noir + sjuk = sukka = malade]. Et toutes ces années, je me suis demandé pourquoi, en finnois, on dit que quelqu’un porte des chaussettes noires quand il est jaloux ! Le suédois jaloux souffre du mal noir ….
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SWEDEN, 20 Kronor, 2008, bside [WPM P-XXX] [Size 2827 x 15… | Flickr

Apropå prepositioner tycker jag att de är väldigt roliga och konstiga på svenska - och att det ofta finns lite för många för min smak .... men däri ligger precis hela charmen av språken. Prepositioner är det svåraste att lära sig på alla språk. Det är också det som visar ganska klart vilken nivå man har i ett främmande språk. Andra charmen med svenska är att jag nu förstår vad det handlar om i IKEA affärerna !

A propos de prépositions, je trouve qu’on les utilise de façon drôle et étrange en suédois, il y en a souvent un peu trop…. mais c’est précisément là que réside tout le charme de cette langue. Les prépositions sont ce qu’il y a de plus difficile à apprendre, dans toutes les langues. Le bon usage de la bonne préposition, au bon endroit, est un très bon indicateur de la maîtrise qu’on a (ou pas) d’une langue étrangère. Un autre charme propre au suédois, c’est que je comprends dorénavant de quoi il en retourne chez IKEA (les noms des meubles et diverses marchandises) !
Parle-moi en suédois

Förutom prepositioner är uttalet en riktig utmaning. Det finns ljud som inte finns i andra språk, som kj eller sj, men det kanske kommer att lyckas någon gång med väldigt mycket övande. På svenska används det många passiva verbformer och förkortningar, mycket oftare än i andra språk : tom, dvs, pga, mm, osv.... 

Outre les prépositions, l’autre obstacle, c’est la prononciation. Il y a des sons qui n’existent tout simplement dans aucune langue, tels que kj ou sj, mais sans doute qu’avec beaucoup d’entraînement, je finirai par y arriver un jour. Le suédois utilise beaucoup la tournure passive, ainsi que des abréviations, par exemple tom, dvs, pga, mm, osv …. [till och med, det vill säga, med mera, och så vidare….]
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Le "roi des Nègres" banni des aventures de Fifi Brindacier - rts ...

Svenska har några egendomliga ord eller sätt att säga saker. T.ex verben att hinna (som också finns på finska : ehtiä) eller fika. Konstiga ord som kalas deras etymologi är svårt att gissa, detsamma gäller för bråttom eller brådska. Ord och konstruktioner med ihjäl, isär eller ihop kräver att man tänker annorlunda. Krav och saknar är också ord jag minns inte med en gång. Du med ? betyder inte ”Kommer du med mig” utan Du också ? Verbet att bli är som bikarbonat : det kan användas för allt ! Jag blir sen, han blev sjuk, det blir fint.

Ensuite, il y a toutes ces façons inhabituelles de dire les choses, comme le verbe att hinna (avoir le temps de faire quelque chose), que l’on trouve aussi en finnois : ehtiä, ou encore fika, qui désigne la cérémonie du café accompagné de gâteau en cours d’après-midi - quatre lettres suffisent à décrire ce moment privilégié. Ou encore le mot kalas (une fête, cela peut être un anniversaire, un jubilée ou une fête de départ à la retraite), qui ne ressemble à rien et ne semble venir d’aucune langue connue; bråttom ou brådska [être urgent, pressé] ne ressemblent à rien non plus, à mon goût. Ihjäl [accompagne un verbe signifiant un acte visant à tuer quelqu’un, comme shot down en anglais], isär [accompagne un verbe de séparation] ou ihop [accompagne un verbe de réunion, être ensemble] sont des particules qui nous forcent à tourner les phrases autrement. Krav ou saknar [manquer de, avoir besoin de qqch] sont aussi des verbes auxquels je ne pense pas immédiatement. Du med ? ne signifie pas Viens-tu avec moi ? mais plutôt Toi aussi ? Le verbe att bli est un peu comme le bicarbonate : il sert pour tout et on peut en mettre un peu partout ! Jag blir sent [je serai en retard], han blev sjuk [il est tombé malade], det blir fint [ça ira très bien]. 
Dammsugare - "aspirateurs"
För mig är svenska en perfekt blandning av engelska, tyska och finska. De språken hjälper mig att minnas olika ord och talessätt. Jag söker ofta ord genom tyska och det lyckas ganska ofta. Många svenskar pratar mycket bra engelska därför är det inte konstigt att de använder direkt engelska ord som najs, dejt eller sajt. Franska aristokrater också lämnade spår med ord som pjäs, paraply, fåtölj, kutym, pö om pö.


Pour moi, le suédois est un parfait mélange d’anglais, d’allemand et de finnois. Ces trois langues m’aident à me rappeler les mots et les tournures. Quand je cherche un mot, je pense en allemand et, très souvent, je tombe juste. Les Suédois parlent tous très bien l’anglais, raison pour laquelle bon nombre de mots anglais sont entrés dans la langue, par exemple najs [nice], dejt [a date, un rendez-vous galant] ou encore sajt [website]. L’aristocratie française a aussi laissé des traces, avec des mots tels que pjäs [pièce de théâtre], paraply [parapluie], fåtölj [fauteuil], kutym [coutume] ou pö om pö [peu à peu].

För längesedan lärde jag mig att säga Jag talar inte svenska, men nu är det tvärtom och jag kan gärna säga: Så visst talar jag svenska !
Autrefois, il y a fort longtemps, j’avais appris à dire Jag talar inte svenska [je ne parle pas le suédois], mais maintenant, tout a changé et je dis volontiers : Så visst talar jag svenska ! [bien sûr que je parle le suédois !].


* * * * * * * 

Skriven med hjälp av Google translate (för vissa få ord), autocorrect (som funkar väldigt bra, AI har gjort stora framsteg !) och en svensk ordbok app. [Och min svenska lärare läste igenom den 👍]
Texte écrit avec l’aide de Google translate (pour des mots isolés), l’auto-correcteur (qui fonctionne très bien, l’IA a fait d’énormes progrès !) et une appli de dictionnaire suédois sur mon smartphone.  Et ma prof de suédois a relu et corrigé 😉
Nuförtiden finns det många sätt att lära och öva språk, det är helt fantastiskt 😀 
De nos jours, on trouve énormément de moyens d’apprendre les langues, de faire des exercices, c’est tout simplement formidable !
På YouTube finns det TV programm, ofta textat t ex Skavlan eller Malou efter tio. Även sånger, ofta med texterna.
På Facebook kan man följa nyheter på svenska genom att gilla tidningarnas sidor: Dagens Nyheter, Sveriges Radio, Svenska YLE....
På internet kan man lyssna på radio på sajten sverigesradio.se , ofta finns texten med.
SVT.se finns det några program man kan titta på även utomlands, ofta textat.
8sidor.se är en bra sajt för nybörjare, då man kan lyssna och följa texten typ karaoke.
Duolingo appen är också tillämpad för nybörjare.
www.swedishlinguist.com 
Sur YouTube, de nombreux programmes de télévision sont disponibles, souvent avec sous-titres, p.ex. Skavlan ou Malou efter tio (talk shows). On trouve aussi des chansons en suédois, avec sous-titres. Sur Facebook, il suffit d’aimer des pages de journaux pour avoir, au moins, les grands titres : Dagens Nyheter, Sveriges Radio, Svenska YLE ….. puis lire les commentaires Sur internet, on peut écouter la radio, sverigesradio.se , le texte correspondant est souvent proposé (pour les nouvelles). Sur SVT.se (télévision) on peut trouver certains programmes accessibles hors de Suède, avec sous-titres.Sinon www.8sidor.se convient bien pour les débutants, on peut suivre le texte de façon karaoké.Des applications, telles que Duolinguo, conviennent également très bien pour les débutants. www.swedishlinguist.com 

vendredi 7 novembre 2014

De coloribus … non est disputandum


Appelez-les comme vous voulez!

Quand j’étais enfant, je mangeais des têtes de nègres et j’adorais ça. Avant d’arriver en Suisse, je mangeais des Negerkuss – des baisers de nègre – et j’adorais ça. Bien que leur fille soit mineure, mes parents ne voyaient aucun mal à ce qu’elle reçoive des baisers d’un homme de couleur. C’est sans doute parce qu’il n’y avait aucun homme, de quelque couleur que ce soit, à l’horizon. Cette friandise si appréciée a pu, fort heureusement, survivre, il a simplement fallu lui donner un autre nom : tête au choco ou autre. A noter qu'en Autriche, cette même friandise s'appelle Schwedenbombe. Ça ne pose évidemment aucun problème.

Fazerin lakupekka 1)

Lorsque j’étais enfant, ce que j’aimais le plus en allant en vacances en Finlande, c’était de retrouver les bâtons de réglisse de chez Fazer, le célèbre pâtissier-confiseur. Les emballages portaient l’image stylisée et caricaturale d’un habitant du continent d’où provient la matière première de ladite friandise. Autrement dit, enfant, j’ai appris à associer l’Afrique à quelque chose de sucré et de délicieux, tout comme les baisers – dorénavant interdits – du paragraphe précédent.

Avant / Après
En Allemagne, certaines petites épiceries portaient (portent encore?) le nom de Kolonialwaren : marchandises coloniales. Cela signifiait qu’on y vendait du café, du thé, du cacao, du sucre, marchandises autrefois exotiques. Je ne sais pas si cette dénomination a été supprimée, mais en Autriche, les enseignes des magasins Julius Meinl portent encore une image qu’on pourra qualifier de raciste. Mais quel magasin affichera une image négative pour attirer le chaland, je vous le demande ? Peut-on réellement croire à une intention mauvaise et discriminatoire derrière ce choix ? Il va sans dire que l’image d’un gros Bavarois avec une chope de bière à la main ne poserait aucun problème, mais quel rapport avec le café et le chocolat ?
Café Julius Meinl
La Suède, championne toutes catégories du politiquement correct, s’est lancée dans l’éradication de tout ce qui pourrait inciter à la haine raciale. Les têtes au choco ne s’appellent donc plus negerbollen. Le papa de Fifi Brindacier n’est plus un Negerkung mais Kung Kalle av Kurrekurreduttön  (le roi Kalle d’un endroit imaginaire). Comme tous les enfants, j’ai lu Fifi – en anglais, mind you… - et son père était un King of the Southern Seas. Je me souviens avoir été un peu effrayée à l’idée de cette fillette de mon âge qui vivait toute seule dans une grande maison, avec un singe et un cheval, mais elle avait tout de même un papa et s’il était absent, c’est parce qu’il était quelqu’un de très important à l’autre bout du monde. Astrid Lindgren a voulu faire du papa de Pippi Långstrump quelqu’un de formidable et inspirant le respect. Selon les règles du politiquement correct, elle aurait dû en faire un ingénieur forestier travaillant quelque part en Laponie. Mais est-ce la bonne solution que de n’avoir, dans les livres pour enfants, que des personnages blancs, européens et ennuyeux ? Et que faut-il penser du fait que cette fillette vive seule, entourée d'animaux? Va-t-elle au moins à l'école? Que font donc les services sociaux ?

Option PC: le bonhomme est blanc
Tout va bien
Dans les pays nordiques, Noël est une fête très importante, un havre de lumière au milieu de l’hiver. Comme ailleurs en Europe du nord, on y mange des biscuits de type pain d’épice, contenant de la cannelle, du gingembre, du girofle et de la mélasse, ce qui leur donne une couleur brun-caramel. Ces biscuits ont diverses formes : étoile, fleur, cheval, bonhomme, cochon….. A l’occasion de la fête de la Sainte-Lucie, les enfants se déguisent et il arrive – oh ! Sainte horreur ! – que certains enfants se déguisent en biscuit de Noël. Cela a maintenant été décrété comme étant raciste et donc interdit. J’imagine qu’il est aussi interdit de se déguiser en Rois mages, ou alors il faudrait ré-ecrire la Bible et décréter que ces trois messagers étaient blancs. Il faudrait aussi traiter la cannelle, le gingembre, le girofle et la mélasse pour qu’ils deviennent blancs. Il sera alors à nouveau permis de se déguiser en biscuit de Noël. Le catalogue IKEA présente des emporte-pièces en forme de sapin, de maison, d’étoile….. mais pas de bonhomme. On n’est jamais trop prudent.
Toujours en Suède, Haribo a retiré de ses sachets de bonbons à la réglisse ceux qui avaient la forme de masques africains, amérindiens, asiatiques. Il faudrait sans doute aussi fermer les musées d’art primitif et d’art africain, qui se vend pourtant très cher. Ne resteront donc que les bonbons en forme de fleur, de voiture ou de petite maison. Mais finalement, ne faudrait-il pas tout simplement interdire la réglisse ?
Les partisans du politiquement correct ne voient-ils donc pas à quel point ils font l’inverse de l’effet recherché ? Leur message revient à dire : pour ne pas être raciste, tout doit être blanc, donc normal, comme dirait Coluche. La négritude n’existe pas, le métissage non plus. Si une personne a de la couleur sur la peau, on fera surtout semblant de ne pas la voir, parce qu’en réalité, ça dérange et ça met mal à l’aise.

Racisme anti-autrichien
En France, on tourne aussi savamment autour du pot, pour ne surtout pas appeler un chat un chat. On dira : une personne issue de la diversité ou encore : une personne appartenant aux minorités visibles. Comment peut-on considérer qu’il s’agit là d’une dénomination correcte et respectueuse ? Car cela revient à dire : "Tu n’es pas comme nous et ça se voit ". On dira aussi : une personne issue des quartiers sensibles et tout le monde comprendra : délinquant, voyou et dealer. C’est parfait ! Comme ça, on n’aura au moins pas dit immigré, ni maghrébin ni bougnoule – mot qui signifie noir en arabe du Maghreb   – mais on le pense néanmoins très fort. Ça ne changera rien à la réalité, les personnes provenant de ces quartiers ou de ces pays continueront à être mal perçues et rejetées par la société. Notons au passage à quel point il est devenu impossible de prononcer ces trois mots, surtout le dernier, qui a toujours eu un sens péjoratif, alors que les deux premiers ne font que décrire un fait, une réalité.

A force d’éviter d’associer les non-caucasiens à des bonbons ou à des pâtisseries, que leur reste-t-il comme modèles positifs ? Des footballeurs, des rappeurs et quelques acteurs qui se comptent sur les doigts d’une main. Pourrait-on envisager de choisir Omar Sy comme égérie du Nespresso ? Ce serait une véritable révolution. On a beau prendre des gants et des pincettes, rien de tout cela n’empêche le continent noir – permettez-moi ce qualificatif – d’être affligé de guerres, de famines, d’épidémies, de pauvreté, de mortalité infantile et maternelle, d’islamisme stupide…. Le pire, c’est qu’on ne demande même pas aux intéressés s’ils se sentent insultés par des têtes au choco et des pains d’épice.
Ne contient pas d'Africain(e)s
Je vais me resservir d’une tasse de thé vert et d’un biscuit bio. Bien au chaud dans mon salon, j’aurai la conscience tranquille, sachant que Tintin n’ira plus au Congo, que le papa de Fifi Brindacier est non seulement blanc mais CEO chez Nestlé et que les bonhommes en pepparkakka ne fêteront plus la Sainte-Lucie. Tout va bien dans le meilleur des mondes.


Epilogue: Tout le monde connaît le riz Uncle Ben's. La farine pour pancakes Aunt Jemima est sans doute moins connue de ce côté-ci de l'Atlantique. Il s'agit de deux produits très courants et très populaires aux Etats-Unis. Tous deux ont pour logo le visage souriant d'une personne d'origine afro-américaine (mais peut-être qu'on ne les appelle plus ainsi....). Le visage de l'Oncle Ben est celui d'un homme ayant réellement existé et qui était maître d' dans un restaurant. Tante Jemima s'appelait Nancy Green et était une esclave affranchie. Les esclaves âgés, ceux qui finissaient par faire partie de la famille, portaient le titre de Oncle et Tante, car il était interdit de les appeler Monsieur ou Madame. Nous avons donc deux représentations de personnages faisant allusion, de façon très directe, à l'esclavage aux Etats-Unis et pourtant, ces marques et ces logos existent toujours.
http://lencrenoir.com/derriere-uncle-bens-et-aunt-jamima/


 1) Pekka est un prénom typiquement finlandais. 

Voir aussi : Tintin au tribunal

Mise à jour, juin 2020 

Et si on les remplaçait par des personnages blancs ? Faudrait-il aussi changer le nom du produit ? Oncle Bernard et Tante Jeannine ?

vendredi 21 juin 2013

Les tribulations d’un centenaire polyglotte




ATTENTION: SPOILERS!

Ne lisez ce texte que si vous avez déjà lu ce roman ou n’avez pas l’intention de le lire!

Le centenaire qui sauta par la fenêtre et disparut - ou Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, selon son titre officiel en français - est un best-seller d’un auteur suédois, Jonas Jonasson, traduit en de nombreuses langues et dont l’adaptation cinématographique est prévue pour bientôt (réalisé par Felix Herngren, sortie décembre 2013). Ce qui m’a frappée dans ce roman est non seulement son intrigue formidable et son humour très pince-sans-rire, mais aussi le fait qu’il y soit beaucoup question de langues.

Il y a tout d’abord le père du personnage principal, Allan, celui qui deviendra centenaire, qui part pour la Russie, à l’époque de la révolution bolchévique. Il constatera qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que le peuple russe soit analphabète, il n’y a qu’à regarder l’alphabet qu’ils ont (chapitre 4)! Le père a eu la mauvaise idée de prêter allégeance au tsar juste avant l’avènement de Lénine; Allan, devenu orphelin, se voit contraint d’aller travailler à l’usine, plus précisément une usine d’explosifs, où il fera la connaissance d’Esteban, un Espagnol qui a atterri là grâce aux services d’un prêtre-interprète incompétent, qui n’a pas compris qu’Esteban savait cueillir des tomates et rien d’autre. L’Espagnol apprendra le suédois et le Suédois l’espagnol. Les deux amis partiront ensuite pour l’Espagne à l’époque de la guerre civile (chapitre 7).



Ayant, un peu par hasard, sauvé la vie du Caudillo, Allan se voit offrir le voyage pour rentrer au pays. Il choisit cependant de prendre le premier bateau en partance et atterrit ainsi aux Etats-Unis (chapitre 9). Il explique à l’interprète des services d’immigration qu’il vient de Suecia et montre la lettre de recommandation que Franco lui a remise. C’est parce qu’il parle l’espagnol qu’on l’envoie à Los Alamos, où il apprendra l’anglais en servant le café à ces messieurs du Projet Manhattan. Ayant donné un sérieux coup de pouce aux Américains pour leur bombe atomique, Allan deviendra potes avec Harry Truman, qui l’envoie en Chine pour faire sauter quelques ponts et ainsi soutenir le Kuomintang dans sa lutte contre le communisme. Il apprendra évidemment le chinois, à force de fricoter avec le cuisiner qui accompagne le groupe de résistants à ce pantin de Mao (chapitre 11).

Une fois sa mission en Chine terminée, Allan décide de rentrer en Suède, en franchissant l’Himalaya à pied ou, pourquoi pas, à dos de chameau. Le marchand de chameaux veut lui refiler sa fille pour le même prix, mais celle-ci ne parle qu’un dialecte tibétain. Allan se dit alors qu’il préfère encore bavarder avec sa monture. En route, il rencontre trois autres voyageurs et tente de communiquer avec eux: il essayera l’espagnol, le chinois, le suédois... C’est finalement l’anglais qui leur permettra de s’entendre. Il s’agissait de révolutionnaires iraniens, qui espéraient importer le communisme dans leur pays (chapitre 11). Arrivé à Téhéran et au terme de quelques rebondissements explosifs, Allan ira frapper à la porte de l’ambassade de Suède où il sera admis grâce au fait qu’il parle le dialecte du Södermanland et que les locuteurs de cette langue ne courent pas les rues en Iran (chapitre 13).

Après plusieurs détours, Allan se retrouve en Union soviétique. Il a été kidnappé pour sa bonne connaissance de la dynamite et de sa participation à l’élaboration de la bombe atomique. Il se retrouvera à table avec Stalin, Beria et quelques autres convives, ainsi qu’avec un personnage parfaitement insignifiant, qui n’a reçu ni à boire ni à manger et que tout le monde ignore: il s’agit de l’interprète. Celui-ci tombera dans les pommes quand Allan suggère à Staline de raser sa moustache. Notre héros finira par être condamné à trente ans de goulag. Lors de son transfert, il fait la connaissance de Herbert Einstein, le demi-frère d’Albert, qui a grandi en Italie et qui a été kidnappé pour les mêmes raisons qu’Allan, sauf qu’il y a eu erreur sur la personne. Entre l’italien et l’espagnol, les deux compères arrivent à se comprendre et deviendront les meilleurs amis du monde (chapitre 16). Après cinq ans passés à Vladivostock, Allan parle couramment le russe et rafraîchit son chinois en bavardant avec les marins qui accostent souvent au port.



Ayant réussi à s’évader dans des circonstances rocambolesques, les deux amis se dirigent à pied vers la Corée du Nord. Ils ont réussi à chiper les uniformes d’un maréchal soviétique et de son chauffeur, ainsi que leur véhicule. Allan, qui parle le russe, jouera le rôle du chauffeur et Herbert ne doit apprendre qu’une seule phrase: «Je suis le maréchal Meretskov d’Union soviétique. Conduisez-moi à votre dirigeant». Malheureusement, il est aussi bête que son demi-frère est intelligent et, incapable de mémoriser ces quelques mots, il dira: « Je suis le dirigeant, conduisez-moi en Union soviétique». Fort heureusement, le garde nord-coréen ne comprend pas le russe et Allan, jouant les interprètes, lui transmet la bonne phrase, en chinois (chapitre 18). Arrivés auprès de Kim-Il-Sung, Allan parvient à bavarder tant avec le Grand Timonier en visite qu’avec le Leader Bien-Aimé, ce qui lui permettra de sauver sa peau, ainsi que celle de Herbert.

Les deux amis, quittant la Corée du Nord, atterrissent à Bali où Herbert s’éprend d’une serveuse aussi bête que lui, qui a appris l’allemand par erreur. Son père voulait lui faire apprendre la langue de la puissance coloniale, le néerlandais, pensant ainsi améliorer ses perspectives d’avenir. Manque de bol, il s’est trompé de méthode Assimil, mais cela a fini par tourner à l’avantage de la jeune femme, puisque Herbert et elle ont ainsi pu exprimer leur amour l’un pour l’autre dans la langue de Goethe. En dépit de sa stupidité, la jeune femme, Amanda, a réussi à devenir ambassadeur d’Indonésie et se fait envoyer à Paris. Nous sommes en mai 1968. Elle est invitée à se présenter à l’Elysée pour son accréditation, au moment même ou Lyndon B. Johnson est en visite. Madame l’ambassadeur est accompagnée d’un interprète barbu et chevelu (Allan) qui ressemble au Bon Sauvage de Bornéo. Allan reformule de A à Z les propos d’Amanda, qui sont d’une bêtise insondable et reconnaît l’interprète du président américain, qui est précisément celui qui s’était évanoui quelques chapitres plus tôt. C’était en réalité un espion soviétique! (chapitre 23).

Allan finira par rentrer au pays, ayant passé la majeure partie de sa vie en tant que clandestin, prisonnier ou détenteur d’un faux passeport, émis par les autorités du pays correspondant. Il est athée, apolitique et polyglotte, avec un penchant certain pour la gnôle.

Ayant lu le roman en suédois, en le comparant à d’autres versions linguistiques (en guise de béquille), j’ai pu constater que la traduction allemande est sans aucun doute la meilleure, la plus fidèle. Le traducteur anglais a très souvent pris la liberté de supprimer des phrases, voire des paragraphes entiers, sans que cela ne se justifie aucunement (jeux de mots intraduisibles, par exemple). Quant à la version française, la traductrice a carrément inventé des mots nouveaux: une personne qui s’exprime dans la langue natale ou encore quelqu’un qui part pour le Lettland (capitale: Riga).

On aimerait bien lire la suite des aventures de ce sympathique centenaire, qui affirme que rien ne dure éternellement, si ce n’est la bêtise humaine.


lundi 11 février 2013

Le centenaire qui sauta par la fenêtre et disparut



Si vous vous intéressez à la littérature suédoise et que vous êtes capables de lire ces romans en une autre langue que le français, de grâce faites-le. Ceci est le quatrième texte que j’écris sur la qualité déplorable des traductions françaises faites à partir du suédois. Il y a tout d’abord eu Millenium, que j’ai dû terminer en allemand. Puis j’ai découvert Sjöwall et Wahlöö, tels que traduits par Philippe Bouquet1), qui a longtemps été le pape du suédois en France, probablement parce qu’il était le seul. Les Français étant si nuls en langues, personne n’a eu l’idée de comparer ses traductions aux autres versions linguistiques. En outre, étant si pleins d’eux-mêmes, ils trouvent sans doute normal que les étrangers écrivent comme des pieds. En effet, c’est l’impression qu’on a quand on lit ces pauvres textes. La dernière victime de ce massacre s’appelle Jonas Jonasson, auteur d’un best seller traduit en trente langues ou plus et dont on est en train de faire un film. Son livre s’appelle Hundraåringen som klev ut genom fönstret och försvann . Si vous voulez savoir ce que cela veut dire, l’anglais vous dira: The Hundred-Year-Old Man Who Climbed Out the Window and Disappeared, l’allemand: Der Hundertjährige, der aus dem Fenster stieg und verschwand, l’italien: Il centenario che saltò dalla finestra e scomparve, l’espagnol: El abuelo que saltó por la ventana y se largó. Google vous donnera: Cent ans qui a grimpé par la fenêtre et a disparu. Et en français, me demanderez-vous? Ça devient: Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, traduit par Caroline Berg

On sait bien que les titres de romans ou de films ne doivent pas forcément être traduits à la lettre. On constatera toutefois que les traducteurs des autres langues ont cru déceler une certaine intention stylistique chez l’auteur, qui a délibérément choisi un titre long et compliqué. En français, il reste long et compliqué, alors pourquoi diable l’avoir transformé à ce point? Serait-il impossible d’intituler ce roman: Le centenaire qui sauta par la fenêtre et disparut? Tant qu’à changer, pourquoi pas Un senior en cavale ou La vieille évasion? De plus, «le vieux» est vraiment moche et même pas drôle. Malheureusement, la traductrice a décidé, tout au long du roman, de remplacer le style croustillant de l’original par le sien, fade et plat.

Une erreur de sens apparaît dès la deuxième page et ce n’est certainement pas faute de connaître le vocabulaire. Là où le suédois dit: Allan [...] slog sig ner på en bänk intill några gravstenar, la traduction vous dira que «Allan s’assit sur une tombe...». Pas besoin de savoir le suédois pour constater que le banc à disparu. On peut certes se demander s’il est plausible qu’un centenaire qui a mal aux genoux s’assoie sur une tombe plutôt que sur un banc. Du coup, quand, en suédois, il voit qu’un certain Henning Algotsson est enterré sur la tombe mitt emot (en face) du banc sur lequel il est assis, en français, le même Henning Algotsson est «couché sous la pierre sur laquelle Allan s’était assis». Forcément, puisque le banc a disparu. Ce n’est pas essentiel à la narration, mais c’est une trahison parfaitement gratuite. Une telle métraduction (car on ne peut pas parler de contresens) dès la deuxième page sape immédiatement la confiance qu’on aurait souhaité avoir envers ce tradittore de traduttore



Il y en a plein d’autres comme ça. La journée de huit heures de travail (åtta -huit - timmars - heures - arbetsdag - jour de travail) devient la semaine de quarante-huit heures. Les Suédois qui se rendent à Stockholm pour exprimer leur désir de défendre la patrie (att betyga [kungen] sin försvarsvilja - en allemand: dem König seine Bereitschaft zur Landesverteidigung zu demonstrieren) devient «pour honorer son roi et demander sa protection». Le socialisme suédois avait prétendument besoin d’un ambassadeur à l’étranger, parce que le changement tardait à venir. L’auteur avait pourtant écrit: Den svenska socialismen behövde en internationell förebild. Les germanisants reconnaîtront sans peine le mot Vorbild. Avoir besoin d’un ambassadeur ou d’un exemple, ce n’est pas du tout la même chose... Le tsar Nicolas est contrarié par les révoltes paysannes contre les bolchéviques. Euh... il devrait plutôt être content, non, s’il y a des gens qui se soulèvent contre les bolchéviques? L’original dit simplement bolsjevikuppror, aucun paysan à l’horizon. La traductrice aurait-elle simplement lu trop vite? Ou alors, elle s’en fout. Le père du protagoniste leur envoie un oeuf, simplement un oeuf, qu’il a gagné au jeu contre son pote Fabe. La version suédoise, tout comme l’allemande, jugent utile toutefois de préciser que c’est un oeuf de Pâques en émail. Le lecteur un tant soit peu cultivé comprend alors immédiatement qu’il s’agit d'un oeuf de Fabergé. Tant pis pour les francophones, qui croient qu’on leur parle bêtement d’un oeuf de poule, à la rigueur décoratif.



Et si ce n’était que cela, ce ne serait pas trop grave. Ce qui est vraiment dommage, en revanche, c’est que tout l’humour et l’ironie de l’auteur disparaîssent complètement dans cette pâle copie. Allan va pisser un coup, mais décide d’abréger les opérations, car il entend du bruit. En français: «Quand Allan se fut soulagé, ...» Les deux croutons ont bu des coups de gnôle pour leurs genoux, pour leurs oreilles, pour faire descendre le steak d’élan et Julius avait encore annoncé un p’tit verre en guise de dessert. Ils ont ensuite été interrompus par une visite indésirable. Après quoi, Allan dit: «Et alors, ce dessert?» qui a été platement traduit par: Et ce schnaps que tu m’as promis, ça tient toujours?


Le premier vieillard (Allan) a volé une valise et en a assommé le propriétaire. Le deuxième  (Julius Jonsson) examine l’homme qui git sur le sol et dit: - Jahapp! [...] Jag gissar att det där är resväskans ägare? Frågan var mer ett konstaterade. Une question faussement ingénue: «Ben dis donc! Ça doit être le type qui a perdu sa valise?» devient «- Ce jeune homme est donc le propriétaire de la valise. Allan se devait de fournir des explications.» Forcément, la phrase «ce n’était pas tant une question qu’une constatation» disparaît en français, puisqu’il n’y a plus aucune ironie ni fausse ingénuité. Il n’y a plus de question non plus, puisque l’un des deux croulants constate platement «ce jeune homme est donc le propriétaire de la valise».

Cette scène se déroule dans la gare de Byringe, un lieu qui existe réellement et qui est devenu un lieu de pélerinage depuis l’immense succès de ce roman. Il en va de même avec la petite bourgade d’Ystad, près de Malmö, où les gens veulent voir la maison du commissaire Wallander - qui n’existe évidemment pas, à moins qu’ils n’en n’aient créé une  de toutes pièces pour satisfaire à la demande. 


La gare de Byringe

Cette traduction n’est pas non plus exempte de perles stylistiques, telles que: « Il ferait beau voir un cadenas capable d’arrêter Julius Jonsson!» Celui qui parle comme Beaumarchais est un vieil asocial qui vit de petites rapines et de braconnages et qui ne crache pas dans les petits verres de fine, que la traductrice appelle schnaps. Les Alsaciens comprendront. L’original est: Sedan när har ett lås hindrat Julius Jonsson? sa Julius Jonsson. L’auteur joue volontiers avec ce genre de répétitions, qui passent systématiquement à la trappe. La traductrice a sans doute estimé que ce sont là des fautes de style. Littéralement, la phrase signifie «depuis quand un cadenas a-t-il entravé Julius Jonsson? dit Julius Jonsson». Pour rester dans un style correspondant au vieux coquin qui parle, on pourrait écrire «Ce n’est pas demain la veille...» ou encore «Il n’est pas encore né, le cadenas qui résistera à Julius Jonsson, dit Julius Jonsson». L’auteur faisant dans le farfelu et l’échevelé, ça pourrait très bien passer.

Une autre phrase bien gratinée: «Puis elle lui mit tendrement les cheveux en désordre et retourna couper du bois». Pourquoi ne peut-on pas écrire qu’elle l’a ébouriffé ou, à la rigueur, caressé la tête? 




Comme je suis heureuse d’être dorénavant (presque) capable de lire le suédois de mes propres ailes! J’en suis à la page 48 du français (mon kindle dirait 10%), mais comme béquilles, je donnerai dorénavant ma préférence à la version allemande, forcément plus fidèle, non seulement parce que les Allemands font toujours du bon boulot, mais parce que les deux langues sont beaucoup plus proches. Les Français sont tellement imperméables aux cultures étrangères, tout en étant profondément convaincus de leur supériorité, qu’ils ne savent sans doute pas apprécier le travail du traducteur. On ne peut pas faire ça à la va-vite, par-dessus la jambe et de façon je-m’en-foutiste. Il ne suffit pas de transposer en gros le sens général de l’histoire, il faut respecter le style de l’auteur et ne pas inverser qui fait quoi. Il n’est pas interdit non plus de se relire ou de se faire relire par des amis.

Quand je passerai mon test de suédois pour en faire une langue de travail, je ne pourrai certainement pas me permettre ce genre d’erreurs, de contresens et d’approximations. J’ai été tellement drillée à la fidélité au message et à l’interdiction de dire n’importe quoi, juste pour faire du bruit, que je suis particulièrement intolérante vis-à-vis de ce genre de travail bâclé. Le public francophone n’a toutefois pas l’air de se plaindre et Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire figure toujours en bonne place dans les rayons des libraires. Tant mieux, ma foi, pour Jonas Jonasson!




1) Philippe Bouquet, auteur de plus de 100 traductions du suédois, Docteur honoris causa de l'université de Linköping (Suède), Officier des palmes académiques, Chevalier de l'ordre de l'Etoile polaire, Prix de traduction de l'Académie suédoise (1988), Prix de la Fondation suédoise des écrivains (1994), Prix personnel Ivar Lo-Johansson 1995, Nominé pour le prix Aristeion 1999.